Homoparentalité. Anne Cadoret, ethnologue, étudie les nouveaux modèles de famille :
«On a du mal à penser la parenté plurielle»
par Charlotte ROTMAN
QUOTIDIEN : mardi 25 octobre 2005
Anne Cadoret est ethnologue. C'est à ce titre qu'elle s'intéresse aux familles homoparentales, tout comme aux familles recomposées (1). Chercheuse au CNRS-Grass, elle a copiloté la troisième Conférence internationale sur l'homoparentalité où elle doit elle-même intervenir ce matin.
Quelle est la revendication des parents homosexuels ?
On parle d'homoparentalité, mais il faut voir que ce que demandent les homosexuels, c'est un statut de parenté, pas seulement de parentalité. La parentalité, c'est exercer au quotidien des fonctions éducatives, la parenté, c'est le statut des parents. Souvent, la parenté disparaît au profit de la parentalité, on oublie le statut. Or les familles homoparentales nous obligent à revoir notre système de parenté. Voici un cas que j'exposerai aujourd'hui : deux lesbiennes ont trois enfants avec trois pères différents, tous les trois reconnus et présents. Deux des pères sont eux-mêmes un couple. Le troisième est lui aussi en couple. Question : quelle est l'unité familiale ?
Quelles sont les différents cas de figure des familles homoparentales ?
Quand, au départ, on pense qu'il faut un père et une mère, on choisit la coparenté. Dans ce cas, c'est comme deux parents hétérosexuels : les deux reconnaissent l'enfant. Après, la question est celle du statut des compagnons. Il y a les propres parents et les parents de fait : ceux avec qui vit l'enfant. C'est le schéma des familles recomposées, avec une primauté des foyers féminins. Au début, je pensais que c'était le plus facile à réguler. En fait, ce qui semble difficile, c'est d'organiser la circulation de l'enfant entre les foyers.
Enfin, quand un couple conjugal veut devenir le couple parent, il faut contourner la loi française. Par la procréation médicalement assistée (PMA, insémination artificielle avec donneur pour les femmes, maternité pour autrui pour les hommes) ou par l'adoption. Dernière précision, la notion de coparent peut s'appliquer au compagnon ou à la compagne du père ou de la mère, et au cogéniteur. Il y a donc quatre coparents possibles.
La légitimité de l'homme et de la femme est-elle la même au sein de ces modèles ?
Au Québec, en 2004, la loi a autorisé deux femmes à être toutes les deux mères dès la naissance de l'enfant. C'est l'idée que toute femme a le droit de devenir mère. Cela a un côté un peu naturalisant. On facilite plus la maternité des lesbiennes que la paternité des gays. Il y a peu de chose de faite pour les hommes, sauf dans les pays où on accepte la gestation pour autrui. Petit à petit, on commence à accepter que deux femmes ou deux hommes puissent devenir parents, mais on a du mal à penser la parenté plurielle. On n'arrive pas à dire qu'on peut avoir trois, quatre ou cinq parents.
Pourquoi est-ce si difficile de penser la pluriparenté ?
Avec la parenté plurielle, on doit imaginer un système de parenté entre plusieurs individus, pas seulement un homme et une femme. Pour nous, sexualité et parenté sont confondues. Il y a un père et une mère car il faut un homme et une femme pour faire un enfant. On a du mal à ne pas assimiler les géniteurs aux parents. Dans certaines sociétés exotiques, un enfant a plusieurs mères et plusieurs pères. L'homoparentalité pose ces questions. Quand on aura admis qu'on ne peut cacher le corps qui produit un enfant, mais qu'il n'est que l'une des figures nécessaires dans la parenté, on aura fait un sacré pas.
La parentalité plurielle est-elle une invention de ces familles ?
Elle existe chez les familles recomposées, mais celles-ci ne se sont pas créées comme ça. Là, c'est une composition dès le départ. Le partage de l'autorité parentale, autorisé en 2002, était fait pour les familles recomposées. Et c'est utilisé aujourd'hui par les parents homosexuels.
Ces familles homoparentales défrichent, elles mettent en lumière les contradictions de notre système de parenté. Par exemple, dans la loi, la PMA utilisée par les couples hétérosexuels est fondée sur un mensonge total qui est que le père est le géniteur. Dans le cadre des couples de lesbiennes, en cas d'insémination, il n'y a pas de fiction possible. Ces familles peuvent faire exploser des montages bancals.
(1) Anne Cadoret, Des parents comme les autres. Homosexualité et parenté, Odile Jacob, 2002.
Source : http://www.liberation.fr/page.php?Article=333465