Je chie je dis que je chie non pour avoir l'air mais pour être sûre que je ne sous-chie pas à force de s'entendre dire que la femme est l'harmonie on ne sait jamais ce qui peut se produire tant pis si j'ai l'air je chie avec joie avec délivrance délectation et dieu merci je ne suis pas au stade anal je chie pour évacuer presser faire sortir et faire tomber et ma volupté est peut-être celle de l'accouchement aussi et c'est vraiment tout ce que je peux ce que je veux en dire je bande et je débande il suffit que je la voie et ne la voie pas et si je ne la vois pas où je voudrais je la désire encore plus fort et je vais et je viens la saisissant délicatement entre mes doigts je n'obéis plus à personne même pas à moi-même je suis le cheval blanc qui galope au-dessus de ta tête et de la mienne il y a un cheval ce n'est pas le cheval mort dans le piano ni l'âne pourrissant dans le champ corse entre deux étreintes maladroites ou pourries n'essaie pas d'en faire un cheval mort comme le jour où personne d'autre ne sera mon silex déposé dans ma bouche à ma naissance aucune autre pulpe je fais la fine bouche mes lèvres et mes mains je les ai regardées elles savent avant toutes les autres ne nais pas au désert sexe long ou sexe court sexe creux ou sexe gonflé un étang est là au-dessus duquel flotte une légère brume d'où montent des nénuphars aux longues racines un étang brillant pour la naissance il faut des ailes d'ange avec de bonnes ficelles je gueule que j'ai mal je gueule pour que crève le silence je chie avec joie et sans ostentation les chevaux morts les nuits solitaires les caresses solitaires les larmes et les anciens baisers les caresses poussées jusqu'à l'écoeurement les dos mal aimés après l'amour les supplications et les scandales les pressions et les menaces les silences obligés et les coïts interrompus et ininterrompus les sexes débandés et les nuits de noces avec les impuissants il y en a qui pensent notamment qui font des expériences de jeunesse qui ne sont pas arrivés depuis longtemps et moi j'arrive et je fais à toute vitesse mon trajet et je chie en courant je chiais en courant maintenant je m'assieds pas trop longtemps tout de même je ne lis pas en chiant je fais ce qu'il faut mais je n'y reste pas des heures et je domine à peine mon horizon mais je le domine des yeux je suis plongée dans la merdre jusqu'au menton pendant un moment ce fut pire j'avais peur de tomber dedans et la planche posée sur le tas de merde liquide au fond sous le petit toit de planches chauffées au soleil ne m'inspirait pas confiance mais je lisais les journaux de mode 1900 et je pissais comme un garçon tranquillement avec la complicité rieuse de l'amie plus âgée tendrement amusée je n'avais pas de pesanteur et le soleil filtrait pour moi pour toi ma tendre complice inconnue et née depuis toujours j'accepte avec toi de très longues fiançailles je chie tous les déjeuners concerts avec les plus grands noms à ce titre-là il faut se saouler et dégueuler l'énorme erreur du raisonnement de la prudence au lieu de chier il me faudrait dégueuler mais au lieu de cette évidence j'absorbais pendant des années et je ne cesse de chier l'Eglise la loi la rigueur la morale les deux sexes les valses en ut dièze mineur les cérémonies mémoriales l'église Saint-machin sauf saint-baiser je chie les titres les peurs les femmes qui président celles qui ont des anneaux au doigt celles qui ont des responsabilités celles qui élèvent le mieux possibles leurs enfants et celles qui se sacrifient celles qui concilient tout celles qui veulent des postes officiels celles qui se laissent baiser sans baiser elles-mêmes sans être celui qu'elles aiment celles qui subissent les fantasmes mâles pour être davantage celles qui n'inventent pas leurs fantasmes sans précédent celles qui citent Rimbaud au lieu de se citer elles-mêmes celles qui ont peur de perdre leur statut leur argent du mois ou de la semaine celles qui rêvent au lieu de baiser celles qui ne montrent pas leur sexe et non leur cul sinon le cul de l'homme quelle merveille mais lui parlent des culs des femmes mais ils ne montreraient pas leur cul de peur de peur de quoi de peur d'eux-mêmes de peur d'être à découvert de peur d'être surpris de peur d'être enfin possédés de peur que vos disques soient les nôtres de peur que leurs dés pipés soient les nôtres de peur que tout soit à la fois à l'envers et à l'endroit de jour et de nuit du côté des numéros pairs et des numéros impairs de la cartomancienne et du calcul des probabilités de Pascal et de Boris Vian de celui qui a inventé les omnibus et de celui qui roulait dans la plus superbe des automobiles et moi et moi avec ma DS affreux jeu de mots ma déesse la seule qui compte et tous ceux avec lesquels je baise ne sont que tes prémonitions même après coup ne sont que des chemins bourbeux vers toi et je les désire je te désire en eux et si tu étais là c'est toi que je mettrais à mal et je les chierais avec délectation avec volupté avec ostentation obstination délectation et sans aucune vénération je chie toute dialectique je chie les lois de la logique et même de ta logique je chie tous les poèmes qui ne sont pas de moi qui ne sont pas pour toi je chie les réserves et les prudences je parle à mon verre de vin je parle à mon clitoris qui ne vaut pas le tien je parle à ma vulve qui n'est pas la tienne je parle non à mon bonnet mais à tes tes doubles lèvres j'ai fait enlever les freins de ma voiture j'ai fait arracher tous les freins et je t'attends je t'attends la fin justifie les moyens pourquoi pas les tarots pour te trouver j'ai chié toute transcendance j'ai chié toute réserve j'ai chié tout ce qui est mort entends-tu chier est pour moi chier la mort les matières fécales de ma vie les matières inertes même plus capables de pourrir regarde les excréments des chiens comme ils pourrissent regarde comme tout le reste est à tes pieds regarde comme tes peurs sont chiées peur de ne pas assez jouir avec moi de moi par moi en moi peur de ne plus être la femme d'un homme très honorable peur d'être dupée peur d'être la possédée la perdante peur de ne plus être désirée tous tes cheveux gris cachés je les chie toutes tes rides je les chie tous mes poils gris je les chie aussi et tes mâles je les chie les miens aussi ceux qui sont moins forts que moi tant pis pour eux je ne veux rien savoir que cette chiée le contraire du désir pour m'abîmer en toi par toi pour toi sans aucune arrière-pensée pour que ton sexe je ne dis pas ton con car je sais le piège qu'on essaie d'y introduire auquel on essaie de le réduire je sais que je vais vers toi et ta réserve est délices même ton rire devant les magasins de ton fief même ton rire nu je goûte chaque minute de notre plaisir je goûte chaque minute de tes lèvres je chie avec aisance tout ce qui n'est pas toi tout ce qui n'est pas ta démarche aux bas verts aux bas noirs aux bas ôtés voracement délicatement dans ta demi-inconscience dans ta totale inconscience le deuxième temps est vécu c'est le temps du désert au cœur de l'amour je m'avance sur ces terres vierges en solitaire amoureuse et amante avec de nouvelles lois dans ma poche et je vais hésitant mais en fait je n'hésite pas du tout je jubile intérieurement extérieurement de toute mon âme que je ne sais pas où loger sinon dans mon cœur qui ne fait qu'un avec mon corps avec mon sexe avec toi avec mon délire avec mes raisonnements avec mon sexe nu avec mon âme d'écorces nombreuses avec mon âme de temps à temps à temps compté à temps libre à temps complet pour aimer je chie enfin librement tout ce qui pèse en moi en toi je chie tous les mots vides et trop légers tous les maux d'amour non accompli tous les mots d'amour sans baiser tous les mots de violence tous les mots à côté de côté tous les rires de moquerie sauf de timidité tous les détritus de tes craintes de ton passé de mon ancienne sottise et de ma sottise d'aujourd'hui quand je ne vois pas clair en toi en moi ni toi ni moi ne voyons bien clair tes poils gris les miens les tiens sont en or légers fils d'or de ma toison de ta toison tendresse j'ai appris à chier en regardant par toutes les lucarnes interdites par toutes les lucarnes moins une je croyais que c'était toutes les lucarnes il y avait toutes les autres et je payais mes impôts à la morale à la vérité à l'Etat à la loi à la sincérité dont personne n'a que faire toutes les vies sont en dehors il faut apprendre à posséder les corps pour les faire jouir il n'y a rien à apprendre seuls les fantasmes me comblent le fantasme sans parole mais rempli d'orgasmes si la femme est faible c'est qu'elle est mutilée dans ses orgasmes bourrés de bonne volonté un regard par-dessus l'épaule et quand elle jouit parfaitement bien salement vachement les deux mots que le mâle lui jette à la tête à travers les jardins de banlieue parce que c'est là qu'il souffre le plus et qu'il veut donc faire mal à son tour pour tout recracher et tout oublier un peu oublier beaucoup en même temps elle veut jouir et elle compte son temps elle compte sa maternité dévouement aveuglement elle se croit vieille elle compte les amants et les années de jouissance elle court toujours parfois en balayant derrière le fourneau surtout qu'il n'y ait pas de saletés pas de poussière c'est elle la superbe qui dit cela elle dit d'un regard furtif à la dérobée est-ce que je sais seulement ce qu'est l'amour et elle cultive la respectabilité mais elle voit les poils de son sexe devenir gris et elle a peur d'elle-même elle compte son passé il faut vraiment de bonnes ficelles pour faire des ailes d'ange mais je te les attacherai moi-même car nous sommes des femmes avec la parole en dedans le sexe en dehors mais nous ne nous offrons plus sur des tables d'opérations pour aimer être vues et faire des enfants apprends à posséder les corps pour jouir pour les faire jouir ne t'expose pas aux regards nus expose-toi au regard frère n'enferme pas ta vie dans un placard près de la chambre et de la cuisine à l'antimite ne mets pas ton sexe sous une housse je gueule que tu as mal que j'ai mal par là où les hommes nous font mal adroits maladroits maladroits trop étrangers arracheurs de langue et de sexe à tous les carrefours dans tous les lits Que faut-il que je chie encore dis-moi je trahirai tout le reste du monde pour toi car c'est en toi que je me suis enivrée des plus pures voluptés bien que toi tu ne m'aies pas touchée que moi seule t'ai touchée il faut que je chie sans façon tout le reste il y a déjà un gros tas de merde devant et derrière moi et je jubile de savoir qu'à la fin j'ai pu extirper de moi cet énorme tas d'excréments qui m'encombrait me pourrissait m'alourdissait m'empuantait et je ris maintenant que je te couvre de roses faut-il chier la ville et sa folie et ses inconnus qui ne vont pas jusqu'à moi jusqu'à toi la ville et ses mauvaises humeurs et mes faiblesses et mes angoisses de ton absence je ne veux plus avoir de pudeurs exténuantes j'ai trop vu d'obscénités dans les chiottes et sur les portes je sais le désir vif et lancinant qui vous tient et vous point jour et nuit et que le mâle entrave chez la femme parce qu'il la pénètre et tue son plus délicat plaisir et l'homme a besoin des obscénités c'est une langue primitive qui doit sortir entre les dents qui doit se mêler de fèces et de larmes et de sperme et de salive et de suc et il n'y a pas d'ordre préférentiel ni historique ni rien de semblable et je monte sur les toits pour le dire et sur la place publique et je picore les sexes en passant et je mets délicatement la main sur les cuisses et sur les sculptures douces comme des corps de femme et je pleure et je pleure de douleur de bonheur je pleure de mémoire et de demain j'en suis encore à chercher tout ce que je dois chier c'est mon silence sur toi c'est le silence des femmes sur l'essentielle douceur qu'elles ont remplacé par et les lignes se chevauchent et elles ne savent plus dire lire lire entre les lignes et elles vieillissent dans la dignité la ruse l'aigreur le furtif le rapace le caché le rampant et pire le souvenir on m'a arraché la langue mais je parle avec mes doigts et ma langue a retrouvé sa place pour la caresse fondamentale sur les lèvres de la bien-aimée je dis que c'est là leur place et pas ailleurs même pas pour parler qu'ai-je à faire avec vos ruses vos faiblesses vos calculs je n'en ai que faire je gueule que j'ai mal je gueule pour que crève le silence les clowns glissent et culbutent sur les feuilles de toutes les lettres qui répètent la même chose nous ne nous échapperons pas des filets des modes secrets éclatants nouveaux ni majeurs ni mineurs harmoniques doubles et chantantes
Geneviève Pastre, l'espace du souffle, Editions Geneviève Pastre, 1997