25 septembre, quatrième jour. Les choses apparaissent et disparaissent tellement vite qu'on dirait des éclairs; les journées sont magnifiques, mordorées et bleues; je voudrais être dehors pour en profiter, je voudrais être heureuse d'être en vie, je voudrais être heureuse de toutes ces choses dont je devrais être heureuse. Mais maintenant, j'ai mal. Maintenant, j'ai mal. Les choses se courent après à l'intérieur de mon crâne, il y a des larmes que je n'arrive pas à verser et des mots comme cancer, douleur et mort.
Plus tard, je ne veux pas que tout ça ne soit qu'un registre de souffrances. Qu'un registre de larmes. Je veux que ça puisse me servir, tôt ou tard, je veux pouvoir m'en rappeler, je veux pouvoir le transmettre et je veux prouver, me prouver que tout ça fait ma force, et que rien d'autre, rien d'autre ne pourra l'ébranler ni l'égaler pendant très très longtemps.
Mon travail consiste à habiter les silences dans lesquels j'ai vécu et à les peupler de moi-même jusqu'à ce qu'ils résonnent de la musique des beaux jours et du fracas de la foudre. Alors, il ne restera plus de place en moi pour ce qui a été, excepté la mémoire de la douceur, éclairant ce qui peut advenir et doit advenir.
Audre Lorde, Cancer du sein, L'expérience d'une lesbienne noire féministe, extrait de Journal du cancer suivi de Un souffle de lumière, Editions Mamamélis, TROIS, 1998.
Photographie : auteur(e) inconnu(e)