Notre Dame des Fièvres (Tolède)
Ton haleine fétide a corrompu la ville…
Un vert de gangrène, un vert de poison
Grouille, et la nuit rampe ainsi qu'un reptile.
La foule redit en chœur l'oraison,
Délire fervent qui brûle les lèvres,
Frisson glacial parmi les sueurs,
Vers ta lividité, Notre-Dame des Fièvres !
L'ombre t'a consacré ses mauvaises lueurs.
Les phosphores bleus sont tes frêles cierges,
Et les feux follets dorent ton autel,
Vierge qui souris à la mort des vierges,
Qui demeures sourde à l'obscur appel,
Madone vers qui matines et vêpres
Montent en grelottant, Notre-Dame des Lèpres !
Ta cathédrale, aux murs rongés par les lichens,
Ecoeure le soir par sa tiédeur fade.
Sur les lits souillés de hideux hymens,
Suinte la moiteur des mains de malade.
Les ladres squameux et les moribonds
Mêlent leur soupir au cri des orfraies
Et baisent tes genoux, Notre-Dame des Plaies !
Tes tragiques élus ont incliné leurs fronts
Sous le vent divin de tes litanies.
Et, parmi l'encens et les chants sacrés
Et l'écoulement des âcres sanies,
S'exhale un relent de pestiférés.
Le pus et le sang et les larmes pâles
Ont béni tes pieds nus, Notre-Dame des Râles !
Poème de Renée Vivien, in Poèmes de Renée Vivien , vol.II,1
Photographie n° 1 : Gabeon
Photographie n° 2 : Lily