«La Gay Pride est trop respectable»
PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCE SANTI
Paru le Samedi 08 Juillet 2006
. HOMOS - Marie-Hélène Bourcier, sociologue hors norme dans le paysage académique français, militante lesbienne et activiste queer, considère que la Gay Pride en général est devenue une manifestation trop brave. Entretien avec celle par qui la théorie queer est arrivée en France.
Pas femme, mais Butch et SM... Telles sont les qualificatifs utilisés par Marie-Hélène Bourcier quand on lui demande de se définir. Mais Marie-Hélène Bourcier est aussi une des sociologues françaises les plus intrigantes du moment. Son domaine de prédilection: les théories du genre, la pensée «queer» et l'activisme. Cette normalienne –aujourd'hui maître de conférences à l'université de Lille– est un électron libre perturbateur qui prend un malin plaisir à naviguer à contresens du monde académique français. Elle était à Lausanne pour le colloque «Homosexualités au pluriel» organisé dans le cadre de la Swiss Pride 2006. L'occasion de lui demander ce qu'elle pense de la Gay Pride.
Quelle importance revêt actuellement une manifestation comme la Gay Pride?
Marie-Hélène Bourcier: C'est compliqué. D'un côté la Pride est un moyen d'affirmation, une occupation de l'espace public qui permet de «visibiliser» la population gay. Elle est donc importante. Toute une frange de la population gay a besoin d'une telle manifestation qui lui permet de présenter certaines revendications. Après... Elle pose tout de même problème. Sans remettre en cause sa force culturelle et politique, je dirais que la Pride est devenue insuffisante et contestable.
En quoi est-elle aujourd'hui insuffisante et contestable?
Le problème de la Pride c'est qu'elle est devenue trop gentille et trop respectable. Elle s'est donné un agenda normatif. Par exemple, en revendiquant le droit au mariage. D'ailleurs, je ne comprends pas cette histoire de mariage. Je comprends certes que les gens prennent des engagements, mais le mariage n'apporte rien. Il nous rabat sur un modèle romantique, de sentimentalité alors qu'il existe tellement d'autres formes de contrats possibles, à court, moyen ou long terme. Même un contrat de garantie pour une machine à laver, dans sa diversité, me semble plus intéressant comme base contractuelle. Je regrette cette focalisation sur le mariage. En suivant ce processus de normalisation, la manifestation s'est transformée en un défilé classique. Elle se fait sans les marges qui, elles, organisent leurs propres marches.
Il y a donc des Pride parallèles?
Oui. A Paris actuellement, il y a la marche des «tordus». Parce que celles et ceux qui s'identifient queer –tordu est en fait une traduction française de «queer»– ne se reconnaissent pas dans l'autre Pride, trop droite. Ce phénomène n'est pas nouveau. Il y a toujours eu des contre-Pride. A New York et à San Francisco, par exemple, la vieille de la manifestation, il y a toujours une marche «dyke». Si les lesbiennes font ça, ce n'est pas parce qu'elles sont des affreuses séparatistes, mais parce qu'elles sont autrement trop peu visibles. Car avant tout problème d'agenda trop restreint, il y a le fait que la Pride est surtout gay, c'est-à-dire faite pour les hommes.
On peut donc dire que la Pride exclut aussi?
C'est évident! Les Pride n'ont jamais été une vitrine pour les minorités trans, par exemple. D'où l'importance des marches alternatives «trans-pédés-gouines». Elles donnent l'occasion aux gens qui ont envie de marcher de travers de se montrer. Parce que la Gay Pride, c'est: «je marche droit».
Quelles sont les alternatives à la manifestation actuelle?
Je ne sais pas. Mais on innoverait sans doute dans la culture gay ou LGBTQ ou trans-pédés-gouines –suivant comment on veut l'appeler– si on se débarrassait de la référence aux émeutes de Stonewall (qui ont opposé la communauté gay de New York à la police, ndlr). Mais encore une fois: on ne peut pas être contre ou pour la Pride. Elle garde une certaine pertinence politique. Il ne faudrait pas jeter la Pride avec l'eau du bain. Il y a cependant une chose qui me paraît vraiment discutable, c'est le désir d'exporter cette manifestation. La Pride est calquée sur un modèle anglo-saxon et je ne pense pas que nous –en tant qu'Européens– nous devions forcément l'exporter en Russie, Turquie ou ailleurs. Pour moi, c'est là une démarche limite coloniale –pour dire un gros mot– qui est franchement contestable. I
Note : Bibliographie: Parce que les lesbiennes ne sont pas des femmes, Queer Zones et Sexpolitiques: Queer Zones 2.
La colère rose des Panthères
MARC ENDEWELD
PARIS - A Paris, les Panthères Roses, association de «transpédégouines», tentent depuis bientôt quatre ans de bousculer le mouvement social et les associations LGBT.
À la dernière «marche des fiertés» (Gay pride) à Paris, de drôles d'animaux se sont infiltrés dans le cortège à coup de slogans détonnant: «Dieu est une lesbienne noire qui n'existe pas. Donnez-nous tous les droits», «On veut l'adoption, pas les gosses», «Pédé, chômeur, et comment je fais pour payer ma robe de marié?». Nom de code: les Panthères Roses. Armées de fiers drapeaux roses et bleus fluos, ces militant(e)s trans et homosexuel(le)s ont réussi, depuis bientôt quatre ans, à se faire une place dans le mouvement social à coup d'actions décalées. Mais si elles savent manier l'humour, ces Panthères donnent régulièrement de sacrés coups de griffe pour dénoncer «l'ordre moralo-sécuritaire».
Car l'association est née dans l'urgence de l'après 21 avril 2002. Sarkozy arrivait alors au gouvernement et en quelques mois une succession de mesures étaient décidées contre les gens du voyage, contre les immigré(e)s, contre les usager(e)s de drogues, contre les prostitué(e)s, contre les squatters... Face à l'ampleur de l'offensive conservatrice, plusieurs militants issus de la lutte pour le droit des homosexuel(e)s décidèrent spontanément de se réunir pour renouveler leurs modes d'action et réfléchir sur le «modèle républicain».
Une Panthère précise: «Nous, on n'est pas dans une démarche intégrationniste. Pourquoi, pour avoir des droits, devrait-on s'assimiler, se fondre dans la culture dominante?» Depuis, des bonnes volontés de tous horizons les ont rejoints, convaincues que «les mécanismes d'exclusion de celles et ceux qui n'ont pas la bonne religion, la bonne couleur de peau, le bon genre, la bonne sexualité... fonctionnent différemment, mais relèvent bien d'un même système».
Joignant la parole aux actes, les Panthères ont donc décidé très vite de ne pas se cantonner à l'univers des associations LGBT (Lesbiennes, Gaies, Bis et Trans) et de lier contact avec d'autres mouvements sociaux, notamment les mouvements féministes: «Les questions féministes sont au coeur des questions de genre, et les questions de genre au coeur des questions féministes», rappelle une Panthère.
Après les années sida et les années de revendications autour du Pacs, ces jeunes militants se revendiquent clairement de l'esprit contestataire des années 1970 et notamment du FHAR (Front homosexuel d'action révolutionnaire), mené alors par Guy Hocquenghem, qui avait appelé les homosexuel(le)s à manifester le 1er Mai 1971 au milieu des organisations syndicales.
Comme leurs prédécesseurs, les Panthères interrogent donc la frilosité du mouvement social sur les questions de genre. «Mais pourquoi c'est toujours les mecs qui crient dans le mégaphone?, se demande une Panthère, dans les manifestations autour de la banderole Gouines et pédés à l'offensive, les gens nous regardaient en disant: 'Mais vous êtes qui? quel rapport?', alors que nous voulons tisser des liens de solidarité autour d'autres projets de société.» En fait, les Panthères comblent un manque ressenti par beaucoup: «On mobilise des gens qui ne se reconnaissent ni dans le mouvement social traditionnel, ni dans le milieu gay centré sur son nombril et qui distingue trop souvent les questions de société des questions économiques, alors que tout est lié.»
Participation aux dernières manifestations contre les CPE/CNE, interruption d'une messe à Notre-Dame pour protester contre les positions du pape, dénonciation de la loi consacrant le rôle positif de la colonisation, actions avec Mixcité contre les jouets sexistes... Les Panthères sont sur tous les fronts tout en se mobilisant prioritairement sur «les questions transpédégouines».
Signataire de la plate-forme pour l'égalité des droits, l'association rappelle que l'égalité ne se résume pas au seul mariage gay ou au droit à l'adoption au moment où le PS semble bouger sur ces questions-là. Les Panthères tentent également de «toucher la communauté» en s'attaquant à la marchandisation des sexualités, notamment en réalisant des actions coups de poing lors des salons commerciaux «Raimbow Attitude» qui sont désormais organisés chaque année: «Le marketing prétend offrir une libération à coup de consommation, mais c'est un leurre, comme si notre façon d'exister ne passait que par la consommation!». I
Note : Site internet: www.pantheresroses.org
Source : http://www.lecourrier.ch