L'UMP veut concéder des droits aux parents gays
LE MONDE | 05.09.06 | 13h17 • Mis à jour le 05.09.06 | 13h38
L'UMP veut améliorer le sort des couples homosexuels élevant des enfants. Sa porte-parole, Valérie Pecresse, s'apprête à proposer la délégation de responsabilité parentale. Cette mesure avancée en février par la mission sur la famille de l'Assemblée nationale pourrait faire l'objet, à l'automne, d'un amendement au projet de loi sur la protection de l'enfance.
L'initiative intervient alors que Nicolas Sarkozy s'est publiquement prononcé contre le mariage homosexuel et l'adoption d'enfants par les couples de même sexe. "J'y ai beaucoup réfléchi et j'y suis opposé, tout comme à l'adoption d'enfants par des couples homosexuels, avait-il expliqué notamment le 3 septembre, dans Le Figaro Magazine. Le modèle qui est le nôtre doit rester celui d'une famille hétérosexuelle : les enfants ont besoin d'un père et d'une mère." Le président de l'UMP avait été immédiatement félicité par le Collectif des maires pour l'enfance, qui rassemble 12 500 élus opposés au mariage et à l'adoption par les couples de même sexe.
Valérie Pecresse estime que son projet est "une vraie révolution juridique" : "Il s'agit de donner une place au "parent social" en l'autorisant à accomplir les actes usuels de la vie de l'enfant : aller le chercher à l'école, l'accompagner chez le médecin ou l'emmener en vacances en France. Le parent légal déléguera sa responsabilité par un acte devant notaire ou un acte sous seing privé."
Ce partage de responsabilité concernerait tous les enfants - ils sont actuellement trois millions - qui ne vivent pas avec leurs deux parents. Mais, pour ses défenseurs, il aurait également l'avantage de combler le vide juridique dans lequel évoluent les familles homoparentales : la loi reconnaît le père ou la mère biologique mais elle ignore leurs compagnons et leurs compagnes, même s'ils s'investissent jour après jour dans l'éducation de celui qu'ils considèrent souvent comme "leur" enfant.
"TOUT PETIT PROGRÈS"
Le seul dispositif qui permette actuellement aux familles homoparentales d'exister aux yeux de la loi est la délégation d'autorité parentale. Créée en 2000 par Ségolène Royal, alors ministre de la famille, elle permet à un parent de déléguer son autorité à un "tiers digne de confiance" qui peut très bien, a précisé en février la Cour de cassation, être le compagnon ou la compagne d'un parent homosexuel (Le Monde du 27 février).
Quelle différence avec la délégation de responsabilité parentale proposée par Valérie Pecresse ? "L'autorité parentale concerne les décisions importantes de la vie de l'enfant - son lieu de résidence ou ses orientations scolaires par exemple -, et sa délégation exige logiquement l'intervention d'un juge, répond la porte-parole de l'UMP. Le partage de la responsabilité, c'est une formule plus souple, qui concerne uniquement la vie quotidienne. Il s'agirait d'un simple document autorisant le parent "social" à accomplir les actes de la vie courante, un papier que l'on garde dans son portefeuille et qui permet d'aller à l'école ou à l'hôpital avec l'enfant."
Pour l'Association des parents gays et lesbiens (APGL), qui est née il y a vingt ans, ce projet est un "tout petit progrès". "Il a l'avantage de respecter le projet des parents puisqu'il leur reconnaît le droit de s'organiser sans demander l'aval de la justice, explique Eric Garnier, le coprésident de l'APGL. Mais il ne concerne que des petits actes de la vie quotidienne. Il est loin de reconnaître une vraie place au parent social."
L'avocate qui défend la plupart des dossiers d'homoparentalité est, elle aussi, réservée. "S'il s'agit seulement d'aller chercher les enfants à l'école ou chez le médecin, nous savons qu'actuellement une simple lettre suffit, note Caroline Mécary. Mieux vaudrait faciliter la délégation d'autorité parentale, qui est difficile à obtenir alors qu'elle représente une vraie reconnaissance pour ces familles."
Malgré la jurisprudence de la Cour de cassation, les magistrats sont souvent réticents à l'idée de partager l'autorité parentale au sein d'un couple homosexuel. Emmanuelle Ott, qui élève depuis sa naissance Thelma, la fille biologique de sa compagne, vient de le vérifier à ses dépens. "J'étais là lors de la naissance de Thelma, je m'en occupe autant que ma compagne, mais la justice a refusé notre dossier, raconte-t-elle. C'est blessant parce que c'est une façon de nier notre réalité de tous les jours : à la crèche ou à l'école, nous sommes toutes les deux reconnues comme les parentes de Thelma."
En Europe, les législations ont beaucoup évolué au cours des dix dernières années. Aujourd'hui, six pays - la Suède, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Danemark, la Belgique et l'Espagne - autorisent, sous une forme ou sous une autre, l'adoption d'un enfant par un couple homosexuel.
Anne Chemin
Article paru dans l'édition du 06.09.06
Source : http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3224,36-809626@51-801093,0.html