"80 pays considèrent encore comme un crime l'homosexualité"
Louis-Georges Tin, fondateur de la Journée mondiale de lutte contre l'homophobie
Le fondateur de la Journée mondiale de lutte contre l'homophobie, Louis-Georges Tin, à Paris, le 2 mars 2006.
Il y a un an, l'universitaire Louis-Georges Tin avait lancé, le 17 mai, la première Journée mondiale de lutte contre l'homophobie. Pour cette deuxième édition, il a reçu le soutien du Parlement européen et du gouvernement français.
Pourquoi avoir créé cette Journée mondiale contre l'homophobie ?
C'est une histoire qui a commencé en l'an 2000, après les débats parlementaires sur le pacte civil de solidarité, qui ont donné lieu, en France, à des discours politiques, scientifiques et sociaux très homophobes.
J'y ai d'abord répondu de manière théorique, en dirigeant en 2003 un dictionnaire de l'homophobie publié par les Presses universitaires de France, puis de manière pratique, en créant la Journée mondiale de lutte contre l'homophobie, qui en est en quelque sorte le prolongement.
Nous avons choisi la date du 17 mai, parce que ce jour-là, en 1990, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a supprimé l'homosexualité de la liste des maladies mentales. Cette date nous intéressait parce qu'il s'agit d'un événement international, parce que c'est une date "positive" - nous voulions éviter de choisir la commémoration d'un meurtre, par exemple - et parce que nous espérons que l'OMS fera un jour pour le transsexualisme ce qu'elle a déjà fait pour l'homosexualité.
Quelles sont les actions qui marquent cette journée ?
Comme pour la Journée internationale des femmes, il s'agit de sensibiliser les populations à l'homophobie en organisant, par exemple, des colloques, des interventions en milieu scolaire ou des projections de films. En 2005, quarante pays ont célébré cette journée, cette année, ils seront cinquante.
En présence de son président, Josep Borrell Fontelles, le Parlement européen, qui a reconnu la Journée mondiale en 2005, va étudier cette année la possibilité de présenter aux Nations unies une résolution faisant du 17 mai la Journée internationale de lutte contre l'homophobie. Et le premier ministre, Dominique de Villepin, s'apprête à inscrire cette date symbolique dans le calendrier officiel du gouvernement.
Je proposerai également aux eurodéputés de présenter aux Nations unies une résolution demandant l'abolition universelle du crime d'homosexualité. Le but serait d'aboutir à une disparition progressive de la pénalisation de l'homosexualité.
Quels sont les pays où la situation est la plus difficile pour les homosexuels ?
Il y a encore 80 pays, dans le monde, qui considèrent l'homosexualité comme un crime. Dans ceux qui appliquent la charia, comme le Soudan, l'Arabie saoudite, le Koweït ou l'Iran, il y a tous les ans des exécutions capitales pour ce motif.
Dans d'autres pays, comme le Brésil, l'homophobie légale n'a plus cours, mais l'homophobie sociale est violente. Dans ce pays démocratique où l'homosexualité n'est plus pénalisée, il existe des commandos, les escadrons de la mort, qui affirment vouloir "nettoyer les villes" : tous les ans, la police recense officiellement plus de 100 meurtres homophobes.
Comment appréciez-vous la situation de la France ?
Il y a eu, bien sûr, des avancées très sensibles depuis une dizaine d'années - notamment avec le pacs et la loi réprimant les actions et les propos homophobes -, mais le volet principal de cette lutte, la prévention, n'est toujours pas pris en compte. Quant à l'égalité des droits, elle n'est pas acquise : comment peut-on affirmer que les homosexuels sont des gens normaux et leur refuser le droit au mariage et à la parentalité ?
La France a par ailleurs une attitude très ambiguë envers les pays qui pénalisent l'homosexualité. Le droit d'asile est presque toujours refusé aux demandeurs qui invoquent ce motif et la liste des pays sûrs établie par la France comprend des endroits, comme le Sénégal, où l'homosexualité est pénalisée et où des arrestations ont régulièrement lieu. La France n'hésite pas à renvoyer chez eux, c'est-à-dire en prison, des homosexuels qui ont fui les rigueurs de la loi dans leur pays.
Propos recueillis par Anne Chemin
Article paru dans l'édition du 18.05.06
Source : http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3226,36-772710,0.html?xtor=RSS-3208