Au Darfour, «des femmes ont été violées par des policiers»
A Nyala, la police a violemment chassé des réfugiés et rasé leur camp.
Par Alexis MASCIARELLI
Nyala envoyé spécial
Agglutinés sous des arbres et des huttes bâties à la hâte avec branches et haillons, pour se protéger du soleil brûlant, les nouveaux arrivés du camp d'Al-Bar sont furieux. «Les policiers sont venus au milieu de la nuit dans le camp d'Al-Geer, où nous vivions à Nyala, pour nous attaquer, dénonce le cheikh Adam Mahamat Ahmed, chef d'une communauté de plus de 200 familles. Ils ont entouré le camp. Et puis ils ont tiré des grenades de gaz lacrymogènes. Ils nous ont frappés. Certains d'entre nous ont été blessés par balle. Des femmes ont été violées par des policiers. Ils nous ont fait embarquer dans des camions pour nous amener ici.»
Bulldozers.
Par deux fois en novembre, le 2 puis le 10, les policiers soudanais ont attaqué des civils qui avaient trouvé refuge à Nyala après avoir déjà fui leurs villages pour échapper aux attaques meurtrières des Jenjawids, des milices, majoritairement constituées de combattants arabes, à la solde du gouvernement dans sa lutte contre les rébellions du Darfour, qui réclament que leur région bénéficie d'un meilleur partage du pouvoir et des ressources. Après avoir chassé les déplacés, les policiers ont supervisé l'action des bulldozers, venus raser ce qui restait du camp.
Des policiers en faction s'approchent. Le cheikh baisse le ton. Puis la tête. Après un instant, il reprend. «Nous craignons vraiment que ce soit seulement la première étape, dit-il à voix basse, que le gouvernement décide maintenant de nous ramener de force dans nos villages.» Le camp d'Al-Bar est placé sous administration directe du gouvernement. La majorité de l'aide humanitaire y est mise à disposition par le Croissant-Rouge saoudien. Les tentes blanches sont spacieuses, les allées, nettoyées. Les lits du centre de soins sont vides et leurs draps, propres. Une bizarrerie au Darfour, où la malnutrition a atteint des niveaux inquiétants et où nombre d'enfants souffrent de fièvre et de diarrhées. «Notre objectif est de faire venir ici les déplacés qui vivent dans d'autres camps où les conditions ne sont pas décentes, explique Ahmed Ali, le directeur du camp d'Al-Bar. D'ici, ils pourront ensuite retourner dans leurs villages.» Par la force ? «Non, promet-il, cela se fera sur une base volontaire.» Ce camp fait peur à certains humanitaires basés à Nyala. «On craint vraiment que le gouvernement nous dise, maintenant que tout est sous contrôle là-bas, qu'il n'a pas besoin de nous et qu'il continue d'y attirer des déplacés dont on perdra alors la trace», explique un responsable d'agence.
«La violence policière est inacceptable», estime Vincent Hoedt, coordinateur des opérations de MSF - Pays-Bas au Darfour. «Même s'il faut respecter le fait que le gouvernement est souverain sur son territoire et qu'il a le droit de décider si un endroit est propice ou non à l'installation des déplacés. La manière était totalement exagérée. Je suis surtout inquiet par ce qui se passe hors des sentiers battus, où des milliers de personnes sont forcées de se déplacer une, deux, trois, quatre fois, à cause des violences.»
Disette.
D'après l'ONU, cette guerre a déjà fait 70 000 morts et près de 2 millions de déplacés. Et le conflit est loin de s'apaiser. Les déplacements permanents, la peur des attaques et de maigres pluies n'ont pas permis aux paysans de cultiver. La disette menace. La guerre commence à avoir de sérieuses répercussions pour les habitants des grandes villes du Darfour, qui n'ont pas été directement touchés par les attaques des Jenjawids. Le marché aux bestiaux, autrefois un des plus grands du pays, tourne au ralenti. Les riches marchands de Khartoum, la capitale, n'osent plus venir dans la région à cause de la recrudescence du banditisme.
Malgré les efforts de la communauté internationale, la situation sur le terrain ne fait qu'empirer. Le cessez-le-feu est violé quotidiennement par les rebelles comme par les forces gouvernementales. Les observateurs militaires de l'Union africaine sont dépassés. Khartoum est accusé de continuer à équiper les Jenjawids, en dépit des promesses de désarmement. Et, pendant que les nomades arabes occupent leurs terres ancestrales avec leurs grands troupeaux de bétail, les victimes civiles refusent de rentrer dans leurs villages en ruines. «Le gouvernement n'a jamais été sérieux vis-à-vis du Darfour, juge un imam respecté de Nyala. C'était déjà le cas avant la guerre. Pour que la paix revienne, il faut que les Jenjawids soient contrôlées, que les criminels qui ont tué et détruit les villages soient jugés, que la sécurité soit rétablie sur les routes et que des compensations soient versées aux victimes. Sinon les troubles vont continuer.»
Source : http://www.liberation.fr/page.php?Article=255545
Mis en ligne le 20/11/04