Ces Européennes
qui nous gouvernent
Anne Fulda19/05/2008 | Mise à jour : 17:11 |
.
Mara Carafagna, passée de la télévision au gouvernement Berlusconi.
En France, comme en Espagne ou en Italie, les gouvernements se féminisent.
Elle est apparue, radieuse. Toute de bleu ciel vêtue. Cheveux de jais coupés dans le style working woman, œil de braise, sourire ravageur. Une sorte de Rachida Dati italienne. Avec quelques années de moins et quelques centimètres de plus. Mais aussi, dans son sillage, comme un doux parfum de scandale. Un glamour assumé et même revendiqué. Normal : Mara Carfagna, la nouvelle ministre «de l'Égalité des chances» (sic) du gouvernement Berlusconi, sacrée «plus belle ministre du monde» par l'édition internationale de Bild, a un CV qui sort de l'ordinaire.
Cette ancienne show girl dans une émission de télévision italienne, «Vivement dimanche» à la sauce bimbo, est certes diplômée de droit mais posait nue il n'y a pas si longtemps. Mieux, l'ancienne députée de Forza Italia est celle à qui le Cavaliere avait déclaré sa flamme en direct, à la télévision, provoquant l'ire de l'épouse de Silvio Berlusconi qui avait exigé et obtenu des excuses publiques du fringuant septuagénaire.
Au-delà de l'anecdote, la composition du gouvernement italien et son nombre restreint de femmes est révélateur. Avec seulement quatre femmes, dont la première dans l'ordre protocolaire, Stefania Prestigiacomo, arrive au neuvième rang, comme ministre de l'Environnement, l'Italie apparaît comme un îlot de machisme dans une Europe qui fait de plus en plus de place aux femmes dans la vie politique. Le Cavaliere ne s'embarrasse pas de faux-semblants.
Pas question de nommer une femme à l'Intérieur ou à la Défense. Foi de latin, en Italie, sous règne berlusconien, le régalien demeure masculin. Et la femme est tout autant recrutée pour ses qualités esthétiques que pour ses compétences. «Un harem de Hugh Hefner», a ironisé le Daily Telegraph tout en se désolant, dans le même temps, que les ministres du gouvernement de Gordon Brown soient habillées comme des sacs à patates. Et de citer Coco Chanel : «Si une femme est mal habillée, on remarque sa robe, mais si elle est impeccablement vêtue, c'est elle que l'on remarque.»
En tout cas, Berlusconi assume sans complexe sa vision réductrice des femmes. Comme s'il vantait la beauté de ses génisses à la foire aux bestiaux, il a ainsi assuré récemment que les candidates de son camp étaient «non seulement belles mais superdiplômées». Et d'ajouter que «la gauche, elle, n'a même pas de goût pour les femmes. (…) Les nôtres sont plus belles, je peux le dire car quand je regarde le Parlement, il n'y a pas de comparaison possible».
Alors, macho, le milliardaire italien, c'est peu de le dire. Jusque dans son propre parti, une sénatrice s'est interrogée publiquement sur l'arrivée en force «de jeunes beautés dont l'expérience politique se limite à avoir tourné la roue de la fortune en maillot de bain devant les caméras de Canale 5». «Berlu» n'en a que faire. Il a choisi d'aller à l'encontre de l'air du temps qui veut que pour faire moderne, «tendance», un gouvernement doit avoir un quota significatif de femmes. Et à des postes de plus en plus élevés.
Rien à voir avec le choix du chef du gouvernement espagnol qui a fait de la parité hommes-femmes en politique, mais aussi dans le monde du travail, l'un de ses chevaux de bataille.
José Luis Rodriguez Zapatero répète souvent que l'entrée massive des femmes sur le marché du travail est «l'événement majeur de l'Espagne des trente dernières années». Il a nommé, le 12 avril, un gouvernement «révolutionnaire» puisque, pour la première fois en Espagne, les femmes y sont plus nombreuses que les hommes (neuf femmes contre huit hommes) et occupent des fonctions qui ne sont pas traditionnellement réservées à la gent féminine.
Ainsi, à 37 ans et enceinte, Carme Chacon, étoile montante du parti socialiste espagnol, le PSOE, connue pour ses positions «écolo-pacifistes», «rouge dedans et verte dehors», comme elle se définit souvent, a été nommée ministre de la Défense. Un magnifique «coup» de communication l'image de la jeune femme, chemise flottante sur son petit ventre rond, faisant la revue des troupes a fait le tour du monde et une première en Espagne où l'Association des militaires espagnols, de tendance conservatrice, a interprété cette nomination comme une marque de «mépris, voire une provocation envers l'armée», tandis que certains conservateurs espagnols ont eu du mal à avaler la pilule «les petites couturières de Zapatero», a ironisé le quotidien conservateur ABC.
À dire vrai, le chef du gouvernement socialiste espagnol a entamé cette évolution à la scandinave bien avant sa réélection. En 2004, il avait déjà nommé du jamais vu en Espagne un gouvernement strictement paritaire, avec comme numéro deux Maria Teresa de la Vega, papesse du féminisme espagnol. Il faut dire que l'Espagne, jeune démocratie, a permis en quelques années aux femmes espagnoles de participer à la vie politique du pays de manière exceptionnelle. Madrid entend aller encore plus loin en faisant passer un projet de loi sur l'égalité qui devrait obliger la présence de 40 et 60 % de femmes éligibles dans tous les scrutins mais aussi dans les conseils d'administration des entreprises.
À côté, l'Italie de Berlusconi fait figure de cas à part, tant, presque partout en Europe, les femmes gagnent du terrain en politique. D'aucuns, grincheux patentés, jugent que cette montée en puissance est le symptôme, si ce n'est la cause, d'une dévalorisation de la fonction politique. D'autres pensent que c'est une question d'image avant tout. Ou encore que c'est le reflet d'une évolution de la société. En tout cas, les faits sont là.
En Europe de l'Est, Ioulia Timochenko a été la première femme premier ministre d'Ukraine. En Allemagne, Angela Merkel est la première femme chancelière. L'Espagne est désormais à la pointe du progressisme féministe. Quant à la France, elle joue aussi la carte féminine. En nommant au gouvernement onze femmes dont trois, Rachida Dati, Rama Yade et Fadela Amara, censées refléter la «diversité» française, les couleurs de la nouvelle France, Nicolas Sarkozy a voulu faire, lui aussi, un «coup» de communication. Mais, à côté de celles-là devenues, qu'elles le veuillent ou non, des vecteurs d'image, deux femmes ont été nommées dans des ministères traditionnellement occupés par des hommes, Michèle Alliot-Marie à l'Intérieur et Christine Lagarde à Bercy ; et d'autres, comme Valérie Pécresse, Roselyne Bachelot, Nathalie Kosciusko-Morizet ou Nadine Morano, démontrent que les femmes ne comptent plus pour des prunes.
Même si parfois, en privé, les réflexions un peu primaires sont de mise dans des cénacles qui restent majoritairement masculins, en quelques décennies, les femmes se sont imposées dans le paysage politique français. Ce n'était pas gagné.
En 1974, lorsque Valéry Giscard d'Estaing avait tenu à nommer Simone Veil à la Santé et Françoise Giroud comme première secrétaire d'État à la Condition féminine, Jacques Chirac, à l'époque premier ministre, avait pris, dans un premier temps, les revendications de l'ancienne journaliste comme celles d'une «Parisienne dévoyée». Le président du RPR, parti portant haut sa virilité, considérera d'ailleurs pendant longtemps que, en politique, il y a deux catégories de femmes : les potiches et les «emmerdeuses».
Malgré tout, après que François Mitterrand eut fait tomber beaucoup de bastions masculins (en nommant notamment la première femme premier ministre de la Ve République et la première femme membre du Conseil constitutionnel), c'est Jacques Chirac, qui soutiendra après l'épisode malheureux du limogeage des «juppettes» en 1995 la loi sur la parité, voulue par le gouvernement de Lionel Jospin.
Aujourd'hui, les femmes du gouvernement Fillon semblent droites dans leurs escarpins. Des potiches ? Pas du tout. Des emmerdeuses ? Parfois. Pas plus ni moins que les hommes. En tout cas, là aussi, et comme en Espagne, des femmes qui assument leur féminité non exclusive d'une vraie compétence. Et qui pensent qu'il n'est plus besoin de se déguiser en hommes ou en chaisières pour être crédible. Tout est question de mesure. Le moindre dérapage peut en effet être ravageur.
En 2004, les femmes du premier gouvernement Zapatero avaient ainsi posé, pour le Vogue espagnol, à la Moncloa, le siège du gouvernement espagnol, coiffées et maquillées par les plus grands stylistes espagnols et dans des poses parfois très glamour, ce qui avait provoqué l'ire des féministes espagnoles et l'interrogation de l'opinion. En France, Rachida Dati a choqué ou énervé certains en semblant, à ses débuts place Vendôme, être plus à l'aise dans les soirées Dior que dans les prisons, trop soucieuse de son apparence. Une femme peut apparaître coquette. Mais frivole, non.
Et la ligne est ténue entre les deux. Aujourd'hui, signe d'une véritable évolution, que Ségolène Royal avait bien comprise, une femme n'a plus à cacher sa féminité pour «réussir» en politique. Mais sa seule féminité ne lui suffit pas pour franchir les obstacles. Et si elle trop mise en avant, elle revient comme un boomerang. Détail révélateur : le jour où le gouvernement Berlusconi a prêté serment devant le président de la République, les quatre ministres femmes portaient des tailleurs pantalons. Comme pour estomper cette image de jolis pots de fleurs que veut leur coller Berlusconi.
Source : http://www.lefigaro.fr/international/2008/05/19/01003-20080519ARTFIG00406-ces-europeennes
-qui-nous-gouvernent.php