La mobilisation syndicale et associative autour de cette proposition de loi sénatoriale réunit notamment la CGT, la FSU, l'Inter-LGBT et le collectif Homoboulot qui tenaient hier une conférence de presse. "Cette réduction du délai de prescription préconisée par la majorité sénatoriale va heurter de plein fouet les actions salariales en dommages intérêts contre l’ensemble des discriminations visées par l’article L.122-45 du code du travail, notamment Femmes Hommes, celles liées à l’origine ethnique, à l’âge, au handicap, à l’orientation sexuelle, à l’appartenance syndicale…", affirment les opposants à ce projet de loi. "Car le propre de la discrimination au travail, c'est d'être diffuse, sournoise, indétectable. La discrimination ne se résume pas à des injures au bureau ou à des licenciements abusifs. Il peut s'agir de l'accumulation de petits riens qui, séparément, passent inaperçus, mais, mis bout à bout sur dix ou vingt ans, expliquent des retards de carrières, des promotions qui ne viennent jamais, des mises au placard. Sans recul suffisant, ces discriminations sont juridiquement impossibles à établir", explique Alain Piriou sur son blog. La députée parisienne Martine Billard (les Verts) ignore quand cette proposition de loi va être présentée à l'Assemblée mais "les députés de gauche vont être mobilisés", prévient-elle. Les opposants au texte sénatorial pointent qu' "au moment où l'Assemblée Nationale se réunit le 25 mars 2008 pour débattre d'une loi de transposition après que la France a été sommée par l'Union Européenne d'aligner sa législation sur les Directives concernant les discriminations", cette proposition "risque de mettre à néant les actions engagées pour l'égalité de traitement et contre les discriminations". Mis en ligne le 19/03/2008 Source : http://v2.e-llico.com/article.htm?rubrique=actu&articleID=17312 Discrètement, le Sénat s’en prend à tous les discriminés Travail. Une proposition passée inaperçue réduirait la prescription des procédures civiles de trente ans à cinq ans. SONYA FAURE QUOTIDIEN : mardi 18 mars 2008 C’est une proposition de loi susceptible de «réduire à néant» toute la jurisprudence en matière de discrimination au travail, qu’elle soit fondée sur le genre, l’appartenance syndicale ou religieuse, l’orientation sexuelle. C’est ce qu’affirment les syndicats de la magistrature et des avocats de France, la CGT et de nombreuses associations de lutte contre l’homophobie, réunies en collectif, dans un appel lancé aujourd’hui. Pourtant, personne ne s’en était rendu compte de prime abord. La proposition de loi du sénateur (UMP) Jean-Jacques Hyest a été présentée le 21 novembre. Elle vise à réduire à cinq ans, au lieu de trente aujourd’hui, la durée de prescription des procédures civiles. Immédiatement adoptée par les sénateurs, elle attend son passage à l’Assemblée. C’est seulement à Noël que le monde syndical s’est agité. Car, parmi les centaines de cas portés devant une juridiction civile (droit immobilier, familial…), il y a aussi les discriminations au travail. Les victimes n’auraient plus que cinq ans pour porter plainte, et si le préjudice est reconnu, les indemnités ne porteraient plus que sur les cinq dernières années. «Ce serait un message clair adressé aux employeurs, explique le collectif dans son appel, que Libération a pu lire hier. Certes, la discrimination resterait interdite en droit ; en fait, elle pourrait perdurer puisque la contraction des délais de prescription indiquerait aux chefs d’entreprise qu’ils n’auraient à courir qu’un très faible risque financier en persévérant dans la transgression de la loi.» «Proportionné». François Clerc est un ancien mécano de chez Peugeot. Il a voué une bonne partie de sa vie syndicale - à la CGT - à la lutte contre la discrimination. Et inventé un modèle de courbes croisées infaillible pour révéler les discriminations salariales, si difficiles à prouver devant les tribunaux. «La discrimination est ce qu’on appelle en droit pénal un délit continu : en se prolongeant tout au long de la carrière, les inégalités se cumulent et s’accroissent», explique-t-il. Réparer le préjudice sur les seules cinq dernières années serait donc injuste. Et contraire au droit européen, selon Michel Miné, juriste : «D’après celui-ci, en matière de discrimination, la sanction doit être effective, proportionnée et dissuasive. Ne prendre en compte que les cinq dernières années n’a rien de "proportionné".» Cinq ans, c’est court aussi pour se décider à porter plainte. «Il faut rassembler les preuves, les témoignages, éplucher les registres du personnel… En moyenne, monter un dossier prend deux ans», rapporte l’avocate Emmanuelle Boussard-Verrecchia, qui a plusieurs fois accompagné des salariés devant les tribunaux. Les initiateurs de la proposition de loi, eux, parlent dans l’exposé des motifs de «souci de sécurité juridique» et d’harmonisation : si, en 1804, la prescription devant une juridiction civile a été fixée à trente ans (une génération), il existe aujourd’hui 250 délais de prescription différents, de trente ans à un mois. «Les règles de la prescription civile sont inadaptées à l’évolution de la société et à l’environnement juridique actuel», estiment les auteurs, notamment parce qu’«une durée de prescription aussi longue ne semble plus nécessaire dans la mesure où les acteurs juridiques ont un accès plus aisé qu’auparavant aux informations indispensables pour exercer leurs droits». Pénal. Sécuriser les rapports sociaux en entreprise, c’est aussi une demande récurrente des organisations patronales. Eviter les tribunaux et la loi. Faire confiance aux négociations entre partenaires sociaux. Car aujourd’hui, la jurisprudence est plutôt favorable aux salariés discriminés. Et les sommes que les entreprises sont condamnées à verser peuvent être élevées : «Pour un ouvrier, on est vite à 50 000 euros», not e l’ancien mécano François Clerc. «Cette proposition de loi est évidemment favorable aux entreprises, explique un juriste. Mais aussi au contribuable. Les contentieux sur trente ans sont très chronophages : réduire la prescription à cinq ans sera du temps gagné pour les juges. De plus, entre les fusions, les rachats… Il est difficile pour une entreprise de se défendre et de faire la preuve de ce qu’il s’est passé il y a trente ans.» La réduction de la prescription sécurisera-t-elle le monde du travail ? Pas sûr. Limités au civil, salariés et syndicats pourraient préférer porter plainte au pénal, démarche plus lourde en terme d’image pour l’entreprise car plus médiatique. Mieux : même lourde - et sans doute justement grâce à cela -, la menace de sanction financière au civil a favorisé le dialogue social. Depuis la fin des années 90, de grosses entreprises ont ainsi négocié un rattrapage financier pour discriminations syndicales - plus rarement des inégalités touchant les femmes. «PSA, la Snecma, EADS ou Matra ont montré leur capacité à négocier, note Emmanuelle Boussard-Verrecchia. Ce qui fait peur aux employeurs, c’est qu’après les affaires de syndicalistes discriminés arrivent celles des femmes, plus nombreuses. Si cette réforme passe, c’est la génération des femmes arrivées sur le marché du travail dans les années 70 qu’on sacrifie.» La proposition du sénateur Hyest doit bientôt passer à l’Assemblée. C’est amusant. Car le 25 mars, justement, Xavier Bertrand examinera un projet de loi visant à transposer dans le droit français une directive européenne contre la discrimination. «Un signal fort contre les employeurs qui discriminent, souligne François Clerc. Qui sera vite suivi, si la proposition du Sénat est adoptée, d’un : "Mais rassurez-vous, vous ne risquez rien à le faire."» Source : http://www.liberation.fr/actualite/economie_terre/316206.FR.php |