Les stratégies des proxénètes mises à nu
Michel Dorais
Auteur et sociologue*
Là où il y a des adolescentes, il y a de bonnes chances qu'il y ait de jeunes proxénètes, ou encore d'autres jeunes filles déjà sous la coupe de ces derniers, à l'affût de nouvelles recrues. Les écoles (publiques ou privées), les centres d'accueil, les grands centres commerciaux, les terminus d'autobus, les gares, les salles de loisirs et de spectacles, les arcades de jeux électroniques, les parcs, certains lieux de compétition sportive, certains restaurants et bars sont des endroits privilégiés pour effectuer ce recrutement.
En somme, tous les lieux d'errance, de flânerie ou de plaisir sont propices pour trouver des jeunes filles à la recherche de quelqu'un qui va les prendre en charge et leur payer du « bon temps ».
Certains réseaux sont en mesure de recueillir une jeune fugueuse dès les premières heures de sa fuite et de lui proposer un hébergement qui lui semblera particulièrement bienvenu. Comme les fugueuses se retrouvent souvent démunies et sans ressources, elles sont des cibles de prédilection pour les réseaux de prostitution, qui connaissent très bien les endroits où se ramassent les jeunes en désarroi.
Il est difficile de déterminer l'âge moyen d'entrée dans la prostitution dirigée par des gangs de rue. Les intervenants sociaux ou les policiers qui travaillent dans ce milieu mentionnent que les proxénètes de gangs recrutent en général des adolescentes de 14 ans et plus. Plusieurs affirment néanmoins que le repérage des candidates se fait de plus en plus tôt, parfois dès la fin de l'école primaire.
En encourageant de très jeunes filles à participer à des jeux sexuels (souvent axés sur la fellation), qui leur sont présentés comme anodins, des garçons arrivent à les désinhiber sur le plan sexuel. Donner du plaisir à des garçons, qu'elles en aient ou non elles-mêmes, devient normal. Ces jeunes filles seront moins effarouchées lorsque, plus tard, on leur demandera davantage, y compris de joindre le marché du sexe.
Des décennies de féminisme n'ont rien changé au fait que de nombreuses jeunes filles entendent encore aujourd'hui se définir essentiellement par leurs charmes et le désir qu'elles suscitent. Or, le grand jeu de la séduction est précisément la stratégie numéro un des garçons des gangs de rue pour enrôler des adolescentes qu'ils vont par la suite prostituer, de gré ou de force.
Étourdir leur proie en tablant sur son insécurité, son besoin de reconnaissance et sa dépendance affective, c'est pour ces Don Juan un jeu d'enfant. C'est ce qu'on appelle love bombing, littéralement le bombardement amoureux destiné à démolir toute résistance chez les jeunes filles ciblées. L'apitoiement, le chantage émotif, la menace même, le temps venu, parachèveront le travail. Après avoir « tout donné », selon lui, le proxénète saura exploiter la relation pseudo-amoureuse qu'il a tissée. Graduellement, le séducteur devient exigeant, parfois violent. Toutes les adolescentes rêvent que leur coeur appartienne à un garçon. Dans ce cas-ci, c'est essentiellement leur corps qui est en jeu, et pour une raison très simple : sa valeur marchande.
* Ce texte est extrait du livre "Jeunes filles sous influence - Prostitution juvénile et gangs de rue" de Michel Dorais, Écrit en collaboration avec Patrice Corriveau et publié aujourd'hui par VLB Éditeur. Sociologue spécialisé dans les questions de sexualité et du sort des jeunes marginalisés, Michel Dorais termine ainsi une trilogie sur la prostitution des jeunes. Professeur et chercheur à la Faculté des sciences sociales de l'université Laval à Québec, il a écrit de nombreux ouvrages.
Source : http://www.cyberpresse.ca/article/20060823/CPSOLEIL/60823027/5287/CPOPINIONS
Mis en ligne le 23/08/06