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Les fractures de la Pologne
Dominique Lagarde, Bernard Przewozny
Les récentes élections locales l'ont prouvé: la vie politique reste instable, un an après l'arrivée au pouvoir d'une coalition conservatrice et populiste. Une tension qui reflète la rivalité, dans la société, entre partisans de la tradition et champions d'un pays ouvert sur l'Europe et sur le monde
Ses cheveux blonds et son acné lui donnent un air d'adolescent timide. Devenu l'an dernier le plus jeune député de Pologne et d'Europe, Krzysztof Bosak est pourtant, à 24 ans, un garçon bardé de certitudes. Président du mouvement Jeunesse de la Grande Pologne (MW) et membre de la Ligue des familles polonaises (LPR), il milite, depuis six ans, à l'extrême droite. Au nom des «valeurs catholiques», menacées, selon lui, par une Europe «cosmopolite et athée». «L'Union européenne, s'insurge-t-il, est imprégnée d'idées de gauche. Elle privilégie les homosexuels au lieu de soutenir les familles et distribue l'argent de nos impôts à des organisations féministes qui militent pour le droit à l'avortement.» Depuis les élections de l'automne 2005, les amis de Krzysztof Bosak sont au pouvoir: la Ligue est, avec les partis Droit et justice (PiS) et Samoobrona («Autodéfense de la république de Pologne»), l'une des trois composantes de la coalition gouvernementale. L'attelage, conservateur et populiste, est tiré par les frères Kaczynski. Lech est président et Jaroslaw, Premier ministre. Les jumeaux parlent d'une seule voix et promettent une «quatrième république» qui mette enfin un terme à dix-sept ans de «complot» postcommuniste et libéral. Leur mouvement est arrivé en deuxième position, dans la plupart des grandes villes, lors des élections locales du 12 novembre dernier.
Pour comprendre le débat qui anime aujourd'hui la classe politique, il faut revenir en arrière, à cette année 1989 où bascule le destin de la Pologne. Nul ne sait alors que le mur de Berlin tombera à l'automne; des troupes russes sont encore stationnées dans le pays. Pendant de longs mois, les représentants du syndicat Solidarité, du Parti communiste et de l'Eglise tentent de négocier le passage à la démocratie. La première table ronde a lieu le 6 février, mais il faudra attendre le début de l'été pour qu'un compromis soit finalement trouvé. Il passe par la cohabitation avec les ennemis d'hier. Une sortie de crise inventée par Adam Michnik, l'un des principaux intellectuels de Solidarité, qui signe en juillet, dans les colonnes du quotidien Gazeta Wyborcza, un éditorial intitulé Wasz Prezydent, nasz Premier («Votre président, notre Premier ministre»). «A l'époque, nous avions en tête la transition espagnole, confiait-il dix ans plus tard à L'Express (1). Une révolution sans guillotine, sans barricades ni effusion de sang. Cela impliquait aussi le rejet de la vengeance.»
Vers une «décommunisation» annoncée
Pour les frères Kaczynski, les négociateurs de Solidarité auraient, cette année-là, conclu un pacte avec les élites communistes, et cette collusion aurait empêché que soit ensuite «purgé» l'ordre ancien, notamment lors de la présidence de Lech Walesa, à partir de 1990. Une faute à laquelle il est, selon eux, grand temps de remédier.
Deux mesures phares viennent d'être adoptées qui vont dans le sens de la «décommunisation» annoncée: le démantèlement, effectif depuis le 30 septembre, des services de renseignement militaire, accusés de fourmiller d'anciens communistes; le vote, le 18 octobre, d'une loi étendant la portée - jusque-là assez limitée - des enquêtes sur le passé communiste de certains individus (la «lustration», selon l'expression utilisée ici). Désormais, hauts fonctionnaires, officiers de sécurité, juges, responsables de collectivités locales ou d'établissements scolaires, journalistes et administrateurs d'entreprises publiques - entre autres - devront produire un «certificat de non-collaboration», délivré par l'Institut de la mémoire nationale, qui abrite les archives de l'ancienne police secrète. La plupart des dirigeants des grandes administrations ou des entreprises publiques ont par ailleurs été changés ces derniers mois. «Pendant dix-sept ans, affirme Piotr Semka, un éditorialiste proche du PiS, la “génération de la table ronde” a monopolisé les postes. Elle a occupé tout l'espace politicomédiatique, tandis que les partisans, comme moi, d'enquêtes sur les crimes des communistes étaient marginalisés. Avec les frères Kaczynski, on assiste enfin à un véritable renouvellement des élites!»
Figure emblématique de ces hommes neufs: le nouveau patron de la télévision publique, Bronislaw Wildstein. Journaliste, il avait été licencié du quotidien Rzeczpospolita pour avoir publié sur un site Internet une liste de plus de 240 000 noms d'agents présumés. «Jusqu'à l'arrivée au pouvoir des frères Kaczynski, commente Janusz Onyszkiewicz, ancien porte-parole de Solidarité, aujourd'hui vice-président (démocrate libéral) du Parlement européen, le champ politique était partagé entre les héritiers de Solidarité et les postcommunistes. Désormais, le débat se focalise sur la table ronde de 1989. La principale césure se produit entre ceux, ex-syndicalistes ou ex-communistes, qui considèrent qu'elle a changé la face de la Pologne et du monde et ceux qui estiment, au contraire, que la donne n'a pas vraiment été modifiée, parce que les élites sont restées les mêmes. Les premiers sont fiers de ce qu'ils ont réussi à l'époque, les seconds affirment que c'est maintenant que tout commence.»
A cette fracture politique s'en ajoute une autre, sociale celle-là. En Pologne comme ailleurs, le passage à l'économie de marché a creusé de nouvelles inégalités. «Beaucoup de gens ne se retrouvent pas dans la nouvelle réalité, en particulier les personnes âgées et seules», soupire Bogdan, un militant associatif d'une cinquantaine d'années, qui gère un relais social installé dans une ancienne chaufferie, derrière les voies ferrées de la gare de l'Est, à Varsovie. «Avant, poursuit-il, l'Etat était plus sécurisant. Aujourd'hui, même avec un travail, certains n'arrivent pas à s'en sortir parce que les salaires les plus faibles sont trop bas.»
Un pays en pleine transition, aux écarts de revenus énormes
Si les frères Kaczynski ont séduit les électeurs, il y a un an, c'est aussi parce qu'ils promettaient aux laissés-pour-compte de la transition une Pologne plus solidaire et plus propre, débarrassée du «libéralisme à l'usage des riches». Car les écarts de revenus sont énormes dans ce pays en pleine transition. Les cadres des entreprises multinationales bénéficient de rémunérations presque équivalentes à celles de l'Europe de l'Ouest, certes, mais des pans entiers de l'économie n'ont pas suivi. Le salaire moyen ne dépasse guère 650 euros et bien des salariés de petites entreprises doivent se contenter du salaire minimum, soit 250 euros environ. A l'échelle du pays, le produit national brut (PNB) par habitant équivaut à 50% de la moyenne européenne. Mais, à Varsovie, le taux atteint 75%. Tandis qu'il ne dépasse pas 35% dans l'est du pays, la région la plus pauvre.
Boguslaw Lesnodorski et Krzysztof Urbanowicz habitent l'un et l'autre une luxueuse résidence, avec centre de fitness et piscine, à Zoliborz, un quartier résidentiel de Varsovie. Le premier, ex-golden boy, est, à 32 ans, à la tête d'un gros cabinet d'avocats d'affaires. Le second, ancien journaliste, a créé une société de conseil et d'édition pour la presse d'entreprise et les sites Internet, aujourd'hui florissante. La Pologne des frères Kaczynski n'est pas la leur. «Ils ne connaissent rien à l'entreprise et moins encore à la finance!» fulmine Boguslaw Lesnodorski. «Ils ont été portés au pouvoir par les “bérets de mohair” [les toques de laine que portent les Polonaises l'hiver; l'expression désigne les traditionalistes], explique Krzysztof Urbanowicz. Une Pologne que nous méprisons.»
A une centaine de kilomètres au nord-ouest de la capitale, la bourgade assoupie de Starozreby appartient à cette «Pologne des bérets de mohair». Ses rues s'animent un peu le dimanche, lorsque les habitants des hameaux environnants se pressent dans l'église de brique rouge pour assister à l'une des trois messes dominicales, ou lorsqu'un concours de musique et de danses folkloriques est organisé dans la salle des fêtes de la caserne des pompiers. Quelque 8 000 habitants vivent sur le territoire de la commune, dont un grand nombre de retraités. A 77 et 74 ans, Maria et Jozef sont de ceux-là. Installés à 5 kilomètres du bourg, dans le village de Zdziar Maly, au bout d'une route de terre, ils ont cédé leurs 4 hectares de blé à leur fils, mais gardé leur maison, une petite ferme avec un puits dans la cour - ici, personne n'a l'eau courante - et quelques poules. Il dit qu'il touche 150 euros par mois. Elle ajoute que cela va, «sauf pour les médicaments».
Une vision manichéenne et xénophobe du monde
Pour le sociologue Edmund Wnuk-Lipinski, il existe bien «deux Pologne». «Une fermée et une ouverte», précise-t-il. Or c'est la première qui est aujourd'hui au pouvoir. Et l'ordre moral y règne. Les auditeurs de l'ultracatholique Radio Maryja ont massivement voté à l'automne 2005 pour le parti des frères Kaczynski, le PiS, ouvertement soutenu par la station. Créée par un rédemptoriste, le père Tadeusz Rydzyk, celle-ci assène chaque jour à ses quelque 2 à 3 millions d'auditeurs une vision manichéenne et xénophobe du monde et décrit une «nation polonaise» en danger, menacée par «l'Europe de Sodome et Gomorrhe». Porte-parole d'une fraction de l'Eglise polonaise qui n'a jamais tout à fait admis que le champ politique lui échappe, Radio Maryja a été récemment rappelée à l'ordre dans une lettre ouverte du nonce apostolique. Mais elle est soutenue par nombre de prêtres qui accueillent dans leurs églises ses clubs d'auditeurs. «Certains n'ont pas compris le concile Vatican II…», dit pudiquement Marcin Przeciszewski, patron de l'Agence catholique d'information.
La station du père Tadeusz Rydzyk relaie aussi le seul discours antieuropéen que l'on entende encore aujourd'hui en Pologne, entièrement centré sur la défense des «valeurs de la famille», contre une Europe jugée «décadente» car trop permissive en matière de mœurs et de sexe. Lors des négociations sur l'adhésion de leur pays à l'Union européenne, les Polonais avaient revendiqué - et obtenu - le droit de conserver leur législation, très restrictive, dans le domaine de l'avortement. Depuis un an, c'est sur la question de l'homosexualité que l'opposition à l'Europe s'est focalisée: «Les ultraconservateurs, résume l'intellectuelle féministe Agnieszka Graff, n'acceptent pas que s'exprime, à travers l'émergence d'un mouvement gay, la volonté de participer à une culture européenne pluraliste et tolérante. C'est cette culture qu'ils rejettent.»
Pour les plus jeunes, l'Europe va désormais de soi
Membre du bureau exécutif de l'Alliance de la gauche démocratique (SLD, postcommuniste) et président d'une association de lutte contre l'homophobie, Robert Biedron est, à 30 ans, le premier, au sein de la classe politique polonaise, à avoir osé reconnaître publiquement son homosexualité. «Nous sommes des boucs émissaires», dit-il. Seule réponse, à ses yeux: mettre un terme à l' «invisibilité» dans un pays dont seuls 17% des habitants disent avoir déjà rencontré un homosexuel ou une lesbienne. En Pologne, ce combat-là n'en est qu'à ses balbutiements. Ni la gauche traditionnelle, laminée par les élections de 2005, ni la droite libérale n'ont envie de s'engager sur ce terrain miné par les tabous. Pour autant, seuls 11% des Polonais regrettent aujourd'hui l'adhésion à l'Union européenne, alors que 80% s'en réjouissent, dont une écrasante majorité de ceux qui ont voté l'an dernier pour les frères Kaczynski. Aux yeux des plus jeunes, en particulier, l'Europe va désormais de soi. Au point que 1,5 million de jeunes femmes et hommes ont, depuis 2004, choisi d'aller tenter leur chance à Londres, Dublin ou Berlin. Ce sont eux, peut-être, qui combleront le fossé entre les deux Pologne.
(1) L'Express du 19 septembre 1999.
Source : http://www.lexpress.fr/info/quotidien/actu.asp?id=7147
« Fun home », une autobiographie à la structure narrative complexe
14 novembre 2006
Les secrets de famille sont une source d’inspiration fertile pour les auteurs. Alison Bechdel nous fait découvrir ceux de sa propre famille, au travers de sa relation inhabituelle avec son père.
Bruce Bechdel était enseignant en anglais et directeur d’un salon funéraire, qui a donné son nom à ce Fun Home [1]. Il a également passé des années à retaper une vieille maison de la fin du XIXème pour arriver à lui redonner sa splendeur d’origine. Il est mort à 44 ans dans un accident, et sa fille Alison, qui avait 19 ans à l’époque, ne peut s’empêcher de penser qu’elle est pour quelque chose dans ce décès qu’elle et sa famille soupçonnent d’avoir été un suicide déguisé. Tout cela, le lecteur le découvre dans le premier chapitre de ce récit de 230 pages, dense et remarquablement écrit. Il découvre également le secret de Bruce : celui-ci avait des relations en cachette avec de jeunes hommes, mineurs de surcroît. Alison Bechdel anime depuis plus de vingt ans un excellent strip intitulé Dykes to Watch Out For (litt. Des Gouines à surveiller), dont deux albums furent jadis publiés en France de façon quasi confidentielle. Sa série est peuplée de personnages variés (si, au départ, il n’y avait que des lesbiennes, cela a bien changé depuis), partagés entre le quotidien, amoureux, professionnel ou familial, et les grands débats de ce monde - Bechdel est une auteure engagée dans ce que le terme a de plus noble. Mais le format du strip contraint souvent à une certaine monotonie narrative. L’auteure a profité au mieux des possibilités que lui offrait le format d’un album [2] pour utiliser une narration non-linéaire : chaque chapitre revient sur un des aspects de l’histoire, creusant toujours un peu plus les ruines émotionnelles du passé, tel un archéologue infatigable à la recherche d’une nouvelle parcelle d’authenticité. L’aspect non-chronologique de la narration renforce la distanciation dont fait preuve l’auteure vis-à-vis d’une enfance passée sous la coupe d’un tyran domestique qui considérait semble-t-il ses enfants (Alison Bechdel a deux frères) comme une main d’œuvre à bas prix... ou de jolies décorations à faire poser côte-à-côte avec le grand œuvre que fut la restauration de sa maison d’époque. En effet, le portrait de l’artiste en jeune femme est aussi celui de l’émergence de l’impulsion créatrice chez une enfant dont le père fictionnalisait sa propre vie : sa façade de bon père de famille cachait une autre vie, difficile à vivre librement à l’époque (Bruce Bechdel était né en 1936), et sa propre impulsion créatrice s’exprimait au grand jour à travers ses talents manuels - on peut remarquer qu’un homo dans le placard qui joue, et si bien, les décorateurs d’intérieur, cela fait quelque peu cliché. Mais la réalité, après tout, dépasse effectivement la fiction. Ce rapport se retrouve dans le style choisi par l’auteure pour illustrer son propos : celle-ci travaille autant que possible d’après photo, pose elle-même pour chacun de ses personnages dans chacune des cases, et pourtant, le résultat est tout sauf guindé, contrairement à ce qui arrive malheureusement parfois dans ces cas-là. Le travail d’Alison Bechdel sur son strip lui a sans aucun doute permis de marier son souci du détail réaliste et son envie de donner pleinement vie à ses personnages. Son trait fin et expressif est aux antipodes des styles passionnels que l’on peut rencontrer des deux côtés de l’Atlantique. Il est posé, et laisse le lecteur décider de ce qu’il veut ressentir. Enfin, Alison Bechdel ne se contente pas d’offrir au lecteur un portrait de famille et un intelligent réseau littéraire : elle analyse également ses rapports avec son père sous l’angle de l’étude des genres. Leur « révérence commune pour la beauté masculine », comme le dit l’auteure, est en fait l’expression d’une opposition des désirs, d’un regard croisé sur ce qui fait la masculinité, dans son artificialité et sa puissance d’attirance, son poids gravitationnel dans la culture de nos sociétés : on peut l’embrasser, on peut la rejeter, mais on ne peut que se positionner par rappport à elle, et même une lesbienne en devenir comme l’était Alison Bechdel enfant ne peut y échapper. Notons enfin la belle qualité de la version française [3] et de la traduction [4], qui participe certainement du plaisir de lecture.
Alison Bechdel, auteure lesbienne renommée, étudie avec une précision d’entomologiste la trajectoire émotionnelle de cette famille qui semble parfois à mi-chemin entre les Addams et celle du feuilleton Six Feet Under, à la seule ( !) différence qu’ici, tout est vrai.
Mais ce n’est pas la seule technique remarquable utilisée par l’auteure : en effet, la fille et le père, si éloignés par d’autres côtés, se retrouvaient dans un amour commun de la grande littérature. Alison Bechdel tisse une toile de références jamais gratuites, de Fitzgerald à Wilde en passant par Joyce. Mais ces références explicites ne servent pas seulement de parallèles ou de contrepoint par rapport aux événements réels, elles sont une sorte de diagramme, de carte retraçant le parcours de la famille de l’auteure. Si, comme le disait Alfred Korzybski, une carte n’est pas le territoire, elle en constitue tout de même une approche fructueuse, surtout lorsque celui-ci a disparu dans les brumes de la mémoire des protagonistes.
Les lecteurs qui ne connaissent pas les œuvres citées auront tout de même entre les mains les clefs nécessaires pour décrypter les propos de l’auteure, qui sont d’ailleurs tout sauf abscons. Les autres savoureront la façon dont la fiction donne corps à des souvenirs de la vie réelle. La dialectique fiction/réalité est en fait un des moteurs de cet album.
On pourrait dire que la vie tout entière de Bruce Bechdel fut dédiée aux rapports entre fiction et réalité.
Que le lecteur soit amateur d’autobiographie, de roman graphique adulte et intelligent, ou qu’il ait envie tout simplement de découvrir une autre facette de la variété de la bande dessinée américaine, ce Fun Home le comblera très certainement.
[1] Qui signifie littéralement « maison amusante », mais qui fait référence au Funeral Home, le « salon funéraire ».
[2] On peut penser à ce qu’a réalisé il y a une douzaine d’années un auteur comme Howard Cruse, qui passa de son strip Wendel (encore inédit en France, mais peut-être plus pour longtemps) à la grande réussite que fut Un Monde de différence.
[3] En espérant que les petits problèmes de lettrage nés chez l’imprimeur seront corrigés dans une prochaine réimpression.
[4] Avec une question sans réponse : pourquoi avoir traduit par « Odusseus » le nom du personnage homérique Ulysse (en anglais « Odysseus ») ? Peut-être pour que le lecteur ne confonde pas avec le Ulysse de Joyce... mais l’usage est tout de même un peu bousculé.
par François Peneaud
Source : http://www.actuabd.com/article.php3?id_article=4309
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