Douze étudiantes (âgées entre 16 et 22 ans) du collège Eyenguè Nkongo de Deido Plage à Douala, Cameroun, ont été renvoyées le 13 mars 2006 de leur institution après que leur conseil disciplinaire eut conclu qu’elles étaient lesbiennes. Amnesty International est préoccupée par le fait que les filles aient été renvoyées uniquement en raison de leur orientation sexuelle. Autres motifs d’inquiétude : les étudiantes ont été privées de leur droit à l’éducation en raison de leur orientation sexuelle supposée, leur droit à la vie privée a été violé et elles risquent d’être arrêtées puisque l’homosexualité est un délit criminel au Cameroun.
Résumé des faits et contexte
Le 13 mars 2006, 12 étudiantes du Collège Eyenguè Nkongo de Deido Plage à Douala ont été renvoyées de leur institution après avoir été accusées d’être membres d’un « réseau lesbien » au sein de leur collège. Les étudiantes furent renvoyées après la décision du conseil disciplinaire, qui se basait sur une enquête menée par les autorités de l’école. La décision de les renvoyer aurait été prise après une réunion de l’Association Parents/Enseignants. La décision fut également approuvée par le Délégué Littoral Provincial de l’Education Secondaire.
Une enquête aurait été initiée après qu’une étudiante ait déclaré aux autorités scolaires qu’elle avait été agressée par une autre étudiante. Les deux filles auraient reconnu être lesbiennes et auraient révélé aux autorités de l’école les identités d’autres étudiantes qui seraient supposées lesbiennes. Rien n’indique qu’une des étudiantes ait eu des rapports sexuels sur les lieux de l’école. Les informations sur l’expulsion des 12 étudiantes furent publiées par différents médias camerounais sans mentionner leurs noms.
Amnesty International continue à être profondément préoccupée par l’homophobie endémique au Cameroun, et elle prie les autorités camerounaises de respecter et faire respecter les droits humains de tous les Camerounais. L’organisation est également préoccupée par une panique morale continue menant à la vindicte contre des gays ou des lesbiennes connus ou supposés dans le pays. Selon des informations des collèges transmettraient à la police pour enquête criminelle des renseignements au sujet d’étudiant·e·s gays ou lesbiennes.
L’homosexualité est illégale au Cameroun et les peines peuvent aller de 6 mois à 5 ans d’emprisonnement.
En mai 2005, 17 hommes furent arrêtés près d’un night club, soupçonnés de pratiques homosexuelles. Neuf d’entre eux, y compris un jeune homme de 17 ans, restent détenus à la Prison Centrale Kondengui de Yaoundé et Amnesty International exige leur libération immédiate et inconditionnelle. La décision concernant leur acquittement et leur libération de prison devrait tomber le 12 juin prochain, plus d’un an après leur arrestation !
En décembre 2005, l’Eglise Catholique Romaine camerounaise dénonçait l’homosexualité dans le pays.
En janvier 2006, trois journaux camerounais publiaient une liste de plusieurs dizaines de personnes, incluant plusieurs membres du gouvernement, des musiciens et des hommes d’affaires “accusés” d’homosexualité. Le 3 mars 2006 la Cour Supérieure de Yaoundé a jugé l’éditeur du journal L’Anecdote coupable de diffamation à l’encontre d’un ministre du gouvernement qui serait homosexuel selon ce journal. L’éditeur fut condamné à quatre mois d’emprisonnement, obligé de publier le jugement de la Cour dans différents médias imprimés et audiovisuels, et pour chaque jour de retard dans la publication de ce jugement il encourait une amende de 300.000 francs CFA. En plus, l’éditeur dut payer une amende d’un million de francs CFA (1.750 US$). Le 24 mars la même cour jugea l’éditeur du journal Nouvelle Afrique coupable d’avoir calomnié un médecin et un ministre en les citant par leur nom dans un article. L’éditeur fut condamné à six mois d’emprisonnement et dut payer 4 millions de francs CFA aux plaignants. Les deux éditeurs sont allés en appel contre leurs condamnations et leurs peines. Ils n’auraient pas été mis en prison.
Obligations du Cameroun
La Charte Africaine des Droits Humains et des Peuples affirme l’égalité de tous les individus. Son article 2 dit : "Chaque individu devra bénéficier de l’exercice des droits et libertés reconnus et garantis par la présente Charte sans distinction d’aucune sorte telle la race, le groupe ethnique, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou autre, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou autre statut". L’Article 3 promet à chaque individu l’égalité devant la loi. Et son article 26 prescrit que "Chaque individu sera tenu de respecter et considérer son prochain sans discrimination, et de maintenir des relations visant à promouvoir, protéger et renforcer le respect mutuel et la tolérance."
La Convention Internationale des Droits Civils et Politiques (CIDCP), à laquelle le Cameroun a souscrit en 1984, protège les droits à la liberté d’expression (article 19), liberté de conscience (article 18), liberté d’assemblée (article 21) et liberté d’association (article 22). Elle affirme l’égalité de tous devant la loi et le droit à ne pas être discriminé dans les articles 2 et 26. Dans le cas de 1994 qui fait date Toonen contre l’Australie, le Comité des Nations Unies sur les Droits Humains, qui vérifie que les Etats respectent les clauses de la CIDCP, affirmait que l’orientation sexuelle devrait être considérée comme un des statuts protégés de toute discrimination dans les articles mentionnés. Les Etats ne peuvent limiter l’exercice des droits humains sur base de l’orientation sexuelle. Le Comité des Nations Unies sur les Droits Humains a depuis exhorté les Etats à non seulement à abroger les lois pénalisant l’homosexualité mais aussi à consacrer dans leur constitution ou loi fondamentale l’interdiction de toute discrimination basée sur l’orientation sexuelle. La discrimination basée sur l’orientation sexuelle est également interdite par d’autres traits internationaux sur les droits humains auxquels a souscrit le Cameroun. La CIDCP protégé également le droit à la vie privée, stipulant que "Personne ne sera soumis à des interventions arbitraires ou illégales dans sa vie privée ou familiale, son domicile ou sa correspondance, ni à des attaques illégales contre son honneur et sa réputation. Chacun a le droit d’être protégé par la loi contre de telles interventions ou attaques" (Article 17).
Le droit à l’éducation est garanti dans l’Article 17 de la Charte Africaine des Droits Humains et des Peuples et dans l’Article 13 de la Convention Internationale des Droits Economiques, Sociaux et Culturels (CIDESC). Selon la CIDESC, l’éducation secondaire dans ses différentes formes, "devra être accessible à tous" sans discrimination. Elle devra "permettre à tous de participer effectivement à une société libre, de promouvoir la compréhension, la tolérance et l’amitié ...". Pour qu’un système d’éducation respecte les droits humains, l’accès à cette éducation ne doit pas être basé sur la discrimination et la discipline scolaire doit respecter la dignité humaine ; en particulier cette dernière ne devrait pas aboutir à une humiliation publique et devrait respecter le droit à ne pas être discriminé·e. Reconnaissant l’obligation de l’Etat à faire en sorte que les droits humains soient protégés dans l’éducation, le comité de l’ONU sur les Droits Economiques, Sociaux et Culturels a déclaré que "Un Etat membre est tenu de prendre des mesures pour faire en sorte qu’une discipline qui ne serait pas en accord avec la Convention ne soit pas appliquée dans toute institution éducative publique ou privée sous sa juridiction." (comité de l’ONU su r les Droits Economiques, Sociaux et Culturels, Commentaire Général 13, §41)
Etant donné que certaines des étudiantes accusées ont moins de 18 ans, leurs droits sont également protégés par la Convention de l’ONU sur les Droits de l’Enfant et la Charte Africaine sur les Droits et le Bien-être de l’Enfant. La Convention de l’ONU sur les Droits de l’Enfant protège l’enfant de toute discrimination (article 2) et garantit son droit à la vie privée (article 16) et à l’éducation (article 28). Le Comité des Droits de l’Enfant, l’organe de l’ONU chargé de veiller à l’exécution de la Convention, a décrété que la disposition de non discrimination dans l’Article 2 de la Convention oblige les états membres à assurer à tous les êtres humains en dessous de l’âge de 18 ans tous les droits mis en avant dans la Convention sans discrimination, y compris sur base de l’orientation sexuelle des adolescents (commentaire général No. 4 (2003), santé et développement de l’adolescent dans le contexte de la Convention des Droits de l’Enfant CRC/GC/2003/4, 1 juillet 2003).
Dans la Convention des Droits de l’Enfant, les états signataires sont encouragés à développer "différentes formes d’éducation secondaire, y compris l’éducation générale et professionnelle, de les rendre disponibles et accessibles à chaque enfant, de prendre des mesures appropriées telles l’introduction d’un enseignement gratuit et l’offre d’une aide financière en cas de besoin" (Article 28.1(b)). Là où un problème se pose, la Convention des Droits de l’Enfant demande aux états signataires de "veiller à ce que la discipline scolaire soit administrée d’une façon qui respecte la dignité humaine de l’enfant en conformité avec la présente Convention." (Article 28.2).
L’Article 3 de la Charte Africaine sur les Droits et le Bien-être de l’Enfant (CADBE) dont le Cameroun est un état signataire protège l’enfant de toute forme de discrimination. Cet article stipule que : "Chaque enfant doit pouvoir exercer les droits et libertés reconnus et garantis, dans cette Charte quels que soit la race, le groupe ethnique, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou autre, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou tout autre statut de ses parents ou de ses gardiens légaux". La CADBE recommande le respect des meilleurs intérêts de l’enfant dans toute action concernant cet enfant entreprise par une personne ou une autorité (article 4). La Charte prévoit également "le droit des enfants à la vie" : "Aucun enfant ne sera soumis à des interventions arbitraires ou illégales dans sa vie privée ou familiale, son domicile ou sa correspondance, ni à des attaques illégales contre son honneur et sa réputation, à condition que des parents ou gardiens légaux aient le droit d’exercer une surveillance raisonnable sur la conduite de leurs enfants. L’enfant a le droit d’être protégé légalement contre de telles interventions ou attaques", mentionne l’article 10 de la Charte Africaine.
En ce qui concerne le droit à l’éducation, la CADBE encourage les états signataires à "prendre toutes les mesures appropriées afin d’obtenir la réalisation complète de ce droit" (article 11.3) et à "prendre toutes les mesures appropriées pour qu’un enfant soumis à la discipline scolaire ou parentale soit traité avec humanité et le respect de la dignité inhérente de l’enfant en conformité avec la présente" (article 11.5). Amnesty International est préoccupée du fait que la décision de renvoyer les 12 étudiantes et la publicité qui l’a entouré puissent de facto empêcher certaines étudiantes de s’inscrire dans des écoles au Cameroun. Une telle conséquence serait une violation supplémentaire du droit à l’éducation défini ci-dessus.
Action recommandée
Il vous est demandé d’écrire des lettres courtoises aux autorités camerounaises dont les coordonnées sont reprises ci-dessous. Il serait préférable de dactylographier les lettres sur du papier à en-tête Amnesty International.
Après avoir présenté le travail d’Amnesty International dans le monde, il conviendrait de :
Dire que vous écrivez concernant le cas des 12 filles renvoyées du Collège Eyenguè Nkongo en raison de leur orientation sexuelle supposée (donnez un bref résumé du cas) ;
Expliquer qu’Amnesty International ne s’oppose pas aux sanctions dans les écoles dans la mesure où celles-ci respectent la dignité humaine, c’est-à-dire qu’elles ne soient en aucune circonstance discriminatoires ou exposent des individus à l’humiliation publique ;
Exprimer votre préoccupation du fait que les étudiantes semblent avoir été renvoyées à cause de leur orientation sexuelle supposée en violation de la garantie de non-discrimination ;
Demander que vous soient données les raisons de l’expulsion des jeunes filles au cas où leur orientation sexuelle ne serait pas la raison principale ou unique de leur renvoi du Collège Eyenguè Nkongo ;
Exhorter les autorités à respecter le droit des étudiantes à la non discrimination, à la vie privée en ne révélant pas leur identité, et à l’éducation de même que leur droit à un recours légal incluant la possibilité de restitution, réhabilitation, compensation, satisfaction et des garanties de non répétition ;
Demander que les autorités permettent aux étudiantes concernées de poursuivre leurs études en s’inscrivant dans une institution de leur choix.
Un modèle de lettre en français vous est proposé en annexe.
A envoyer à :
1.Ministre de l’Enseignement secondaire Mr Louis Bapes
Ministre des Enseignements secondaires
Ministère des Enseignements secondaires
Yaoundé
Cameroun
Salutation : Monsieur le Ministre
2.Ministre d’Etat à la jeunesse
Monsieur Adoum Garoua
Ministre d’Etat à la Jeunesse
Ministère de la Jeunesse
Yaoundé
Cameroun
Salutation : Monsieur le Ministre
3.Ministre à la Promotion de la Femme et de la Famille
Madame Suzanne Bombak
Ministre d’Etat à la Promotion de la Femme et de la Famille
Ministère de la Promotion de la Femme et de la Famille
Yaoundé
Cameroun
Salutation : Madame la Ministre
4.Secrétaire d’Etat auprès du Ministre des Enseignements secondaires
Madame Catherine Abena
Secrétaire d’Etat auprès du Ministre des Enseignements secondaires
Ministère des Enseignements secondaires
Yaoundé
Cameroun
Salutation : Madame la Secrétaire d’Etat
5.Délégué Provincial à l’Education Secondaire
Monsieur le Délégué à l’Education Secondaire
Province du Littoral
Douala
Cameroun
Salutation : Monsieur le Délégué Provincial
6.Directeur du Collège Eyenguè Nkongo
M. le Directeur du Collège Eyengue Nkongo
Monsieur Edouard Eyenguè
Deido-Plage
Bp : 5297
DOUALA
Cameroun
Tel : +237400555 - Cel : +2379818353
Saluation : Monsieur le Directeur
7.Président de la Commission Nationale des droits humains et libertés
Dr Chemuta Divine Banda
Président de la Commission Nationale des droits humains et libertés
BP 20317
Yaoundé
Cameroun
Salutation : Monsieur le Président
8. Presse
The Post
P.O Box 91-Buea
République du Cameroun
Telephone : (237) 332 32 87
Email : thepostnp@yahoo.com
Cameroun Tribune
Le Rédacteur en Chef
BP 1218
Yaoundé, Cameroun
Tel : (+237) 230.41.47 - 230.36.89 - 230.41.48
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E-mail : cameroon-tribune@cameroon-tribune.cm
Cameroon Post
Editeur en chef
PO Box 604
Limbe, Cameroun
La Nouvelle Expression
M. le Directeur
12 rue Prince de Galles
BP 15333
Douala, Cameroun
Le Messager
M. le Directeur Pius Njawe
Rue des écoles
B.P.5925
Douala
Cameroun
Tél. :(237)3420439 - (237)9800935
Tél./Fax :(237)3436337
Email : lemessager@globalnet2.net
Copies à :
Ambassade de la République du Cameroun
Avenue Brugmann 131
1190 Bruxelles
Fax : 02/640.12.92
Dernière modification le : 24 mai 2006
Lettre Cameroun FR - Mai 2006