Après la discrimination positive, la "laïcité positive"
Le président appelle de ses vœux une « laïcité positive ». Ce qui revient à dire que la laïcité française actuelle est « négative ». En fait de « positive attitude », il s’agit d’ouvrir une brèche dans la séparation entre le politique et le religieux, pour faire évoluer la laïcité française vers une laïcité plus américaine, le modèle absolu de Nicolas Sarkozy dans ce domaine.
Si la fronde des laïques tient bon, il renoncera à modifier l’article 2 de la loi de 1905, interdisant de reconnaître ou de subventionner le culte. En revanche, il faudra une mobilisation massive — par exemple à l’occasion de la venue prochaine du pape — pour le dissuader de parvenir au même résultat en coupant la fine membrane existant entre les associations cultuelles (type 1905) et culturelles (type 1901). Car cela reviendrait à autoriser le financement du culte par le biais du culturel. C’est la demande formulée par la Fédération protestante de France, poussée au prosélytisme depuis l’expansion des Églises évangéliques. Un mouvement que Nicolas Sarkozy juge « évidemment positif par son dynamisme et le renouveau dont il est porteur ».
Encore cinq ans et le président de la République française prêtera serment sur la Bible. Tandis que nos banlieues ressembleront au Bronx. Des déserts sociaux, où les Églises évangéliques et les Centres islamiques se disputent le ciel en guise d’espoir.
Caroline Fourest et Fiammetta Venner
Paru dans Charlie Hebdo (23 janvier 2008)
Source:
http://carolinefourest.canalblog.com Nicolas Sarkozy ou l’esprit de 1905 en danger (Caroline Fourest)
Les dernières déclarations de Nicolas Sarkozy confirment toutes les craintes émises depuis des années par Caroline Fourest, Fiammetta Venner et ProChoix à son sujet concernant la laïcité. Nous republions ici un texte paru en novembre 2007 dans la revue Après-Demain.
Le compromis de 1905 est menacé par les instrumentalisations politiques de toutes parts. D’un côté, l’extrême droite s’en sert comme prétexte pour interdire la construction de lieux de culte musulmans en multipliant les recours administratifs douteux. De l’autre, certains élus locaux cherchent au contraire à contourner la loi de 1905 pour financer la construction de mosquées par clientélisme, au risque de favoriser l’islam politique au détriment de politiques culturelles et sociales en faveur de l’égalité. Les deux jouent un jeu dangereux, dans un contexte où il faut d’urgence cesser d’entretenir la confusion entre la question culturelle et la question confessionnelle, avant de distinguer enfin la question religieuse de la question sociale.
La loi de 1905 en otage
Autant la volonté d’empêcher la construction d’une mosquée, comme à Nice, doit être combattue car elle révèle un impensé raciste et une volonté de maintenir la prédominance culturelle chrétienne. Autant celle de construire des lieux de culte en sus et place de centres sociaux ou culturels sur des fonds publics révèle une incompréhension grave des priorités et menace le vivre-ensemble. Elle trahit l’espoir bien illusoire d’acheter la paix sociale en substituant l’« espérance spirituelle » à l’espérance sociale dans les quartiers populaires . C’est le programme affiché par Nicolas Sarkozy dans La République, les religions, l’espérance , écrit en collaboration avec Thibaud Collin, membre de la Fondation de Service politique, l'un des think-tank du Vatican et de son aile droite (Opus Dei, Légionnaires du Christ etc). Une fois élu, Nicolas Sarkozy a d’ailleurs confié le ministère de la ville et du logement (donc en partie des banlieues) à Christine Boutin, conseillère du Vatican. Son directeur de cabinet, approuvé par la présidence et le Premier ministre, est un intégriste chrétien formé par la Cité catholique (une association prônant la restauration d’une forme de théocratie). Quant à l’homme qu’elle a chargé du dossier des quartiers populaires, Jean-Marie Petitclerc, il est prêtre.
Cette nomination, loin d’être accidentelle, est parfaitement cohérente avec la vision d’une laïcité défendue par Nicolas Sarkozy. Comme ce 20 juin 2005, à l’occasion d’une réunion interreligieuse organisée par l’association la Bible au théâtre de Neuilly sur le thème « Dieu peut-il se passer de la République ? ». « Les religions sont un plus pour la République… ce sont les sectaires qui ont fait de la laïcité une laïcité de combat » a déclaré Nicolas Sarkozy. À l’entendre, la République ne peut pas se passer de Dieu. Surtout dans les quartiers populaires, où le manque de spiritualité sert à expliquer tous les maux. « Nos quartiers sont devenus des déserts spirituels, je ne pense pas que nous ayons quoi que ce soit à y gagner … Si personne n'explique que la vie n'est pas un produit de consommation, il ne faut pas s'étonner que le sens de la vie ne soit pas le même à La Courneuve qu'à Neuilly ». Le ministre revient alors de la cité des « 4 000 » à La Courneuve (Seine-Saint-Denis), où un enfant de onze ans, Sidi Ahmed Hammache, vient d’être tué par balles lors d’un règlement de comptes entre bandes. « Quand on voit des choses pareilles, on comprend que choisir l'espérance soit une nécessité. » Rien à redire, sauf lorsqu’on sait que chez Nicolas Sarkozy le mot « espérance » veut dire « religion ».
L’opium des quartiers populaires Contrairement à ce que semblent croire plusieurs de ses sympathisants, l’intégrisme en banlieue n’est pas forcément un problème aux yeux du nouveau président de la République. Il y verrait plutôt un moyen efficace de lutter contre la délinquance : « Partout en France, et dans les banlieues plus encore qui concentrent toutes les désespérances, il est bien préférable que des jeunes puissent espérer spirituellement plutôt que d’avoir dans la tête, comme "seule religion", celle de la violence, de la drogue ou de l’argent. » Il défend même le rôle positif que pourraient jouer certaines organisations comme l’UOIF pour remettre les quartiers populaires dans le chemin : « La réalité, c’est que l’UOIF mène, sur le terrain, un travail utile contre des adversaires autrement plus dangereux pour la République : les salafistes. », écrit-il.
En Angleterre, cette approche a conduit Tony Blair à miser sur les Frères musulmans pour combattre les salafistes djihadistes. Un faux pari absolu. Puisque les Frères musulmans n’ont aucun impact sur ces ultra-radicaux (qui les prennent pour des mous voire des traîtres) mais diffusent un islam liberticide (sexiste, homophobe et antisémite) d’autant plus dangereux pour le vivre-ensemble qu’il bénéficie désormais de la bénédiction de l’Etat. La France va jusqu’à présent mieux que l’Angleterre de ce point de vue (un musulman anglais sur trois veut vivre selon les lois de la charia, contre 73 % de musulmans français attachés à la laïcité). Encourager les fondamentalistes à remplacer les travailleurs revient à abandonner le terrain aux prédicateurs intégristes, sexistes, homophobes et antisémites et reproduire les erreurs de l’Angleterre. Nicolas Sarkozy ne peut pas l’ignorer, mais il ne veut rien entendre.
En bon ultra-libéral fasciné par les républicains américains, Sarkozy privilégie l’« espérance spirituelle » à l’« espérance sociale » autant par conviction chrétienne que par pragmatisme économique. Les travailleurs sociaux, les associations citoyennes maintiennent un lien social qui fait barrage à l’intégrisme, mais ils coûtent cher en subventions. Or, Nicolas Sarkozy n’y voit qu’un ramassis de petites mafias ayant détourné l’argent de l’État. En novembre 2005, devant le Mouvement national des élus locaux réunis à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), il a fait une déclaration stupéfiante : « Tout l’argent mis par les gouvernements de gauche et de droite depuis vingt ou trente ans dans les politiques de la Ville a été en partie détourné par une économie souterraine qui a pollué l’économie réelle dans ces quartiers. » Les religieux, eux, ne coûtent pas cher… et ils ramènent l’« espoir ». Or le gouvernement a déjà largement creusé les déficits publics au profit des plus riches. Il doit maintenant faire des économies sur le dos des plus pauvres. Autrement dit, en banlieue, s’il doit investir, ce sera pour construire des lieux de cultes et non des centres socioculturels.
La religion au secours de la République Dans La République, les religions et l’espérance, sous couvert d’une discussion polie, Nicolas Sarkozy signe un livre de combat contre la conception française de la laïcité — qualifiée de « laïcité sectaire ». Il souhaite la remplacer par une « laïcité positive », que d’autres chercheurs appellent aussi « laïcité ouverte » ou « nouvelle laïcité », c’est-à-dire par une laïcité inspirée du modèle anglo-saxon. Et ce au moment même où les anglais se demandent si leur modèle ne favoriserait pas l’intégrisme...
Ira-t-il jusqu’à modifier l’article 2 de la loi de 1905 —selon lequel « l’Etat ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » — pour financer ces lieux de cultes sur fonds publics ? Le débat, en tout cas, aura lieu. Pour l’anticiper, Nicolas Sarkozy a confié une mission de « réflexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics » à une commission de sages — composée de religieux et de partisans de la nouvelle laïcité.
Sans surprise, la commission dirigée par le professeur Machelon a conclu à la nécessité d’encourager les communes à subventionner directement la construction de nouveaux lieux de culte. Cette réforme pourrait notamment favoriser les passerelles entre la loi de 1901 et celle de 1905 pour permettre aux associations non cultuelles de soutenir davantage les associations cultuelles. Une demande formulée entre autres par la Fédération protestante de France, très demandeuse de souplesse en matière de laïcité depuis qu’elle a admis en son sein les adventistes, et qui vient de nommer à sa tête un évangéliste.
Les conclusions de ce rapport ont reçu le soutien du candidat Nicolas Sarkozy. Dans une tribune intitulée « Pour une laïcité vivante » et adressée à La Croix juste après la sortie du rapport Machelon, le 21 septembre 2006, il persiste : « Il n’est pas juste que les fidèles des confessions en expansion récente sur notre territoire, l’islam sunnite et le christianisme évangélique, rencontrent des difficultés pour pratiquer leur culte. » Un regret déjà énoncé dans La République, les religions et l’espérance, où le fait d’autoriser les pouvoirs publics à financer directement des lieux de culte est présenté comme le moyen de permettre à l’islam de France de rattraper son retard, mais surtout de le couper des influences étrangères. Cette idée séduit, même à gauche, mais repose sur un diagnostic erroné.
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