1ère journée mondiale de lutte contre la lesbophobie heure par heure à Paris |
14h. Place de la République. Devant le manége en bois et la station de métro, c'est l'effervescence. Rassemblés à l'appel d'IDAHO (International Day against Homophobia), d'Act-Up et des Panthères roses, une centaine de militants reprennent en cœur les slogans soufflés par le porte-voix. «Y en a assez, assez, assez, de cette société, qui ne respecte pas les gouines, les trans et les pédés.» Parmi, eux, on compte une majorité de lesbiennes, butchs ou féminines, jeunes et moins jeunes et leurs copains gays et trans venus soutenir les frangines. Habillés en noir, les activistes tapent sur des casseroles et brandissent des panneaux éloquents : «La lesbophobie tue, égalité des droits !», «Mon corps lesbien m'appartient.» Sophie, la quarantaine rayonnante a fait le déplacement avec sa fiancée et leur petite fille de cinq mois, conçue par insémination artificielle avec donneur anonyme en Belgique. Sa façon à elle de combattre l'invisibilité des lesbiennes, qui lui pèse tant. «Nous sommes victimes d'une double aversion à la fois sexiste et homophobe, analyse Pauline Londeix, la vice-présidente du comité Idaho à l'initiative du Kiss in. Cette aversion opère souvent par déni de l'homosexualité féminine, comme n'existant pas ou comme passade chez des filles qui n'auraient pas fini leur développement. C'est très insidieux», poursuit la jeune auteur du Manifeste lesbien.
14h30. Une pyramide féminine s'improvise sur les pelouses de la république. Avec un porte-voix, Pauline impose le silence. Elle nous apprend qu'une délégation inter-LGBT a été reçue, en fin de matinée, par la secrétaire d'État aux Droits de l'Homme et aux Affaires étrangères. «Au nom du Gouvernement Rama Yade, a reconnu officiellement la journée de lutte mondiale de lutte contre l'homophobie, la transphobie et la lesbophobie», annonce-t-elle d'un ton grave. Réelle avancée pour les luttes contre les discriminations ou simple effet d'annonce? Parmi les manifestants, les sourires sont sceptiques. «Collabo!» souffle une voix d'homme. Pourtant que de chemin parcouru depuis ce 17 mai 1993, où l'OMS a cessé de compter l'homosexualité parmi les maladies mentales.
15h. Début du Kiss in. Devant un parterre de photographes majoritairement masculins (et soit dit en passant presque plus nombreux que les téméraires «embrasseuses»), une dizaine de couples lesbiens s'en donnent à cœur joie. Quelques passants s'arrêtent, intrigués par le chahut. L'ambiance est bon enfant. Alice et sa copine, n'auraient râté ça pour rien au monde. Lesbienne et fière de l'être, Alice croit beaucoup à l'impact symbolique de ce genre d'action. «J'en ai marre de me faire insulter dans le métro ou dans la rue, quand je suis avec ma copine explique cette fille de gauchiste qui étudie les lettres à la Fac de Nanterre. Je fais ça pour alerter les gens sur les propos discriminatoires, sexistes et homophobes qui sont tenus contre les femmes comme nous.» À leur côté, un groupe de femmes, entre quarante et cinquante ans observe avec amusement et non sans envie, les petites jeunes se rouler des patins. Monique, coupe courte, look androgyne, est la seule à accepter de répondre à nos questions. Infirmière de métier, féministe de la première heure et lesbienne outée, elle se dit proche du CLF (la Coordination lesbienne en France). Venue seule de Créteil, elle n'a personne à embrasser. Dommage! Alors, pour passer le temps, elle est l'une des rares à jouer le jeu de la visibilité, en répondant face caméra aux journalistes de France 3 Ile-de-France. Son programme de la journée est aussi chargé que le nôtre: commémoration de la mémoire des déportés homosexuels, en matinée, Kiss in de 14h à 16h, et débat sur l'invisibilité/visibilité des lesbiennes chez Violette & Co (la librairie lesbienne et féministe de Paris), où nous la suivons, en fin de journée.
16h. Des trombes d'eau sonnent la fin du rassemblement. Nous filons, du côté de Beaubourg, au stand de prévention de SOS Homophobie. Il y a une distribution gratuite du rapport annuel contre l'homophobie et de la synthèse de l'enquête sur la Lesbophobie. Réalisée à partir des témoignages de 1793 répondantes, cette enquête statistique est la première du genre en France, avec un panorama de tous les aspects que peuvent revêtir cet aspect particulier de l'homophobie. on y apprend par exemple que près de deux tiers des lesbiennes auraient subi des épisodes lesbophobes dans leurs vies. Les domaines les plus cités sont la vie quotidienne (45%), la famille (44%), le milieu amical (24%) et le contexte professionnel (24%).
17h. Insoutenable visibilité de l'être… Une cinquantaine de lesbiennes féministes sont rassemblées à la librairie Violette n'Co pour une présentation et un débat autour des actes du colloque Invisibilité/Visibilité des lesbiennes organisé l'an dernier à l'Hôtel de Ville de Paris, par la Coordination lesbienne en France. Après un tour d'estrades de deux heures sur les faits d'armes des associations lesbiennes historiques, Sylvie Gras de la commission Lesbophobie de SOS homophobie est venue présenter les chiffres édifiants de l'enquête sur la Lesbophobie.
18h. Dans la mezzanine, les réactions ne se font pas attendre. «C'est bien beau de dénoncer l'invisibilité des lesbiennes et de se battre collectivement pour l'égalité des droits, mais dans les faits que se passe-t-il? invective une jeune anonyme. Je n'ai pas trente ans. Aucune de mes copines lesbiennes ne se tient la main dans la rue, je suis la seule à le faire. Alors que si on le faisait toutes, les gens réagiraient mieux. Nous avons une responsabilité individuelle.» «C'est la faute des médias», renchérit une autre. À la tribune, on exhorte à la prudence: «Attention à ne pas culpabiliser celles qui refusent de se montrer», «La visibilité oui, mais pas à n'importe quel prix!» «Sommes nous toutes d'accord sur la visibilité que nous voulons donner?» Le débat s'achève sur cette épineuse question. Rendez-vous est pris en juin pour un week-end complet d'atelier-débat. Plus d'infos sur le site du CLF.
www.coordinationlesbienne.org
20h30. Fin du journal de 20h sur TF1 et France 2 et fin de la journée de mobilisation pour l'Idaho. Avec un bilan en demi-teinte. Dans son communiqué officiel, l'inter-LGBT prend acte des annonces gouvernementales prononcées en matinée par la voix de Rama Yade mais s'interroge sur les les retombées concrètes de ses déclarations au niveau de la lutte contre les discriminations à une échelle européenne et dans les pays où l'homosexualité est toujours considérée un délit. Côté couverture médiatique, c'est plutôt morne plaine. Aucune rédaction nationale n'a relayé l'information. Les images du Kiss In filmées par France 3 IDF ont même été coupées au montage (voir le sujet diffusé par France 3). Seul Libération fait exception. Avec un gros titre sur la Lesbophobie dans l'édition du 16 mai, intitulé: «La Lesbophobie, une intolérance qui ne fait pas de bruit.» Une formule, on ne peut plus explicite.
Page de téléchargement de l'enquête Lesbophobie
Communiqué de presse de l'Inter LGBT
Photos Delphine Aunis
par Delphine Aunis
Ecrit le : 2008-05-19
Source : http://www.tetu.com/rubrique/mag/mag_dossier_detail.php?id_dossier=396