Les nouveaux visages du féminisme
Dessin : Romain Virly
Son nom rappelle la clause de la nation la plus favorisée. Un vieux principe commercial qui veut que les avantages accordés à un partenaire doivent être également accordés à tous les autres. Mais la clause de l'Européenne ressemble plus à un manifeste qu'à du commerce. L'idée de cette clause ? Comparer ce qui se fait de mieux pour les femmes dans les législations des 27 États de l'Union européenne et l'offrir à toutes les Européennes. En décembre 2004, l'Espagne a adopté une loi-cadre contre les violences faites aux femmes qui associe plusieurs ministères et englobe prévention, protection et punition. "Pourquoi ne pas généraliser ce type de loi au niveau européen ?", demandent les féministes de l'association Choisir. Elles sont une dizaine de bénévoles -juristes, professeurs, avocates, cadres dans le privé- à éplucher depuis un an les législations nationales des pays membres afin d'en extraire le meilleur pour les femmes, dans cinq domaines : choix de donner la vie, droit de la famille, violences faites aux femmes, travail et représentation politique.
"Nous nous fondons sur du droit qui existe déjà : dans tel pays, les femmes ont ça, nous voulons la même chose", résume Violaine Lucas, coordinatrice du projet et professeur de français dans un lycée de Saint-Nazaire.
La démarche est loin d'être nouvelle : "Beaucoup de lois européennes sont inspirées de cas nationaux, la création ex-nihilo au niveau du Parlement européen n'existe pas", explique Véronique de Keyser, députée belge du Parti socialiste européen. "Pour qu'un changement soit inscrit dans les traités, il faut qu'il fonctionne d'abord et soit déjà passé dans les mœurs."
Le "non" a été un électrochoc
Outre l'Espagne et sa loi contre la violence, la Suède, éternelle bonne élève en la matière, fournit sa loi contre la prostitution qui pénalise le client ainsi que son congé parental obligatoirement alterné entre le père et la mère. "La Suède et les pays nordiques ont mis en place énormément de choses positives mais nous trouvons des avancées dans chaque pays, nuance Violaine Lucas. La législation de la Lituanie sur le harcèlement sexuel, par exemple, est la seule qui punisse le harcèlement sur le lieu de travail mais également en dehors des relations de travail."
La clause de l'Européenne la plus favorisée trottait dans la tête de Gisèle Halimi depuis une vingtaine d'années. Et puis l'avocate a été prise par d'autres combats dont la lutte pour l'introduction de la parité dans la loi électorale française. En 2005, le "non" français au référendum sur le projet de Constitution européenne sonne comme un électrochoc. "Les Français avaient une vision très négative de l'Europe, comme la cause de leurs malheurs sociaux et économiques, explique Violaine Lucas. Or si la base, les femmes, s'emparent du droit, ce dont elles bénéficieront aujourd'hui profitera à l'Europe tout entière demain."
Calqué sur le calendrier de la feuille de route de la Commission européenne (2006-2010), le projet devrait d'abord se concrétiser par un ouvrage prévu pour le printemps 2008. "Nous souhaitons que la clause devienne une référence juridique et se diffuse au gré des changements politiques, indique Violaine Lucas. Au Portugal, la légalisation de l'avortement, encore inenvisageable il y a deux ans, a été votée cet été grâce à l'arrivée au pouvoir de Jose Socrates. Pourquoi le droit de choisir de donner la vie ne deviendrait-il pas une exigence à l'entrée dans l'Union européenne, au même titre que l'abolition de la peine de mort ?"
Définir la meilleure loi européenne
Sur la forme, les féministes imaginent une intégration de la clause à la Charte des droits fondamentaux , du style "Les États membres sont appelés à appliquer les meilleures lois concernant les femmes" ou une directive. Problème : la législation pour l'égalité entre hommes et femmes reste en grande partie de la compétence des États, surtout en ce qui concerne la justice et la sécurité. Ce qui ne constitue pas un obstacle aux yeux de Gisèle Halimi qui a défendu la clause lors d'une audition publique au Parlement européen, le 28 novembre dernier : "Les diverses compétences sont toujours pragmatiques, jurisprudentielles, en constante évolution."
"Il ne s'agit que d'une proposition, rappelle l'avocate, il faut que les femmes s'approprient ce texte : il doit être soumis à réflexion." Plusieurs intervenantes se sont en effet interrogées sur les critères employés pour définir la meilleure loi européenne. Sur des sujets essentiels comme le congé parental, plusieurs avis s'affrontent au sein même des rangs féministes, et qui semblent aujourd'hui inconciliables.
La démarche est-elle réaliste ? "Ce qui est réaliste, c'est ce qui est voulu politiquement. Je sais que la volonté politique n'apparaît jamais spontanément, elle a besoin d'un soutien", répond Véronique de Keyser. Le projet, inapplicable en l'état, entre donc clairement dans une phase de lobbying. D'abord convaincre les parlements nationaux de l'intérêt de la clause puis "la faire fonctionner, voir ce que ça soulève".
Louise Fessard
Strasbourg France
Source : http://www.journaleuropa.info/article/n318t0j0d0.html